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monde, ce discernement si fin des vraies et des fausses valeurs, en un mot tous ces dons naturels qui font le charme indéfinissable de la femme. Un clou chasse l’autre, et si l’on peut à la rigueur être avisé comme un serpent et innocent comme une colombe, on ne saurait posséder à la fois deux genres de sagesse. Croyez-moi, c’est la vôtre qui est la bonne, tant il est vrai que la moindre de vos petites perceptions a plus de prix que tous nos raisonnemens et nos principes abstraits. — Eh bien, soit ! dit à son tour M. Steinthal ; vous nous donnerez des Leibnitz, des Raphaël et des Mozart ; ce serait un maigre dédommagement pour l’espèce humaine, si la vraie femme venait à disparaître. Les dons précieux que vous possédez sont un héritage lentement accumulé pendant des milliers d’années ; une fois perdu, impossible de le recouvrer. Quelque jour peut-être aurons-nous un Gœthe en jupons, mais nous n’aurons plus la mère de Goethe et je ne m’en consolerai pas.

Les féministes répliquent à ces prophètes fâcheux que les malheurs qu’ils annoncent n’arriveront point, que certaines craintes sont chimériques, que les jeunes filles ne s’anémieront pas dans leurs gym- nases, que l’étude ne pâlira pas leurs joues, n’appauvrira pas leur sang, que les femmes sont plus résistantes que les hommes, plus dures au travail, à la fatigue, à la peine. Lequel d’entre eux ferait impunément le métier de lavandière ou de bonne d’enfans ? D’ailleurs on entretiendra leur santé par les exercices du corps, par la gymnastique, par le sport. Et qui vous dit qu’elles perdront leurs grâces ? Telle ignorante a un visage fort déplaisant, telle doctoresse a beaucoup d’attraits. Il y a aujourd’hui des femmes charmantes, et d’autres sont fort désagréables, quoiqu’elles ne sachent ni le grec ni l’anatomie comparée ; il en ira toujours de même. Aussi bien que sert d’argumenter ? Vous prétendez protéger leur bonheur contre leurs imprudens désirs ; elles veulent être heureuses à leur manière, à leur façon. Elles sont mécontentes du sort que vous leur faites, et une société où les femmes sont mécontentes est une maison prête à crouler. Appliquez-vous à les contenter, ou elles passeront dans le camp des révolutionnaires, et les révolutions sont invincibles quand les femmes sont leurs complices.

Somme toute, si les cent vingt professeurs consultés par M. Kirchhoff se réunissaient en congrès et que la question se décidât par la majorité des suffrages, les femmes obtiendraient gain de cause. Mais qu’elles ne se fassent pas d’illusion ! Elles auraient bientôt fait de compter leurs défenseurs ardens et résolus. Ce sont les résignés qui