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réunissent dans des temples sombres, leurs cérémonies sont sans grandeur ; les Bulgares s’asseyent irrévérencieusement dans les églises ; ils regardent de tous côtés comme des insensés, et leur puanteur est intolérable ; les catholiques font faussement usage, pour la communion, de pains azymes ; leurs prêtres coupent leurs cheveux et leur barbe, ils s’abstiennent de chanter Alleluia pendant toute la semaine sainte ; quant aux Grecs, ils honorent Dieu par des rites si mesurés et si touchans, la décoration de leurs temples est si riche, leur encens si rare, qu’entrer dans une de leurs églises, c’est prendre pied vraiment dans le paradis… »

Vladimir n’hésita plus. Baptisé lui-même en la ville de Cherson, il convoqua son peuple sur les bords du Dniepr, au pied de cette pente, là où l’on voit l’embarcadère des bateaux à vapeur ; quiconque manquerait à ce rassemblement serait tenu pour rebelle et traité comme tel. Réunis sur la berge, on les poussa doucement au fleuve ; les enfans demeurant près du bord à cause de leur petite taille, les adultes s’avançaient plus loin ; les uns lavaient leurs nez, leurs barbes et leurs oreilles, d’autres nageaient çà et là ; des jeunes gens s’éclaboussaient en riant.

Ainsi s’était accompli le baptême commun. Peu après, on vit dans Kief l’effrayante nouveauté d’une école grecque où l’on traînait de force les petits enfans. Quant aux idoles, on attacha Péroun à la queue d’un cheval, Péroun, Dieu tonnant, érigé jadis ici même par Vladimir, et régalé par lui de sang humain. Sa tête était d’argent, ses oreilles et ses moustaches d’or, son corps de bois dur semé d’escarboucles. C’est pourquoi, jeté au fleuve, il s’enfonça d’abord, nagea entre deux eaux, et ne reparut que là-bas, plus loin que les pentes du Pétchersk, là où ces dômes d’azur étoile, à demi cachés dans un repli de l’immense nappe blanche, affleurent le contour du terrain. Le peuple en larmes le rappelait : « Surnage ! surnage ! (Vydibay !) » il l’attira au bord et l’adora une dernière fois. L’humble monastère Vydoubitzkii a paru à cette place pour expier la récidive d’idolâtrie ; réduit à rien par la concurrence des moines du Pétchersk, il l’expie en effet dans la misère.

Et maintenant, après ces mille années, saint Elie dont le char roule au ciel par les temps d’orage a pris dans la superstition la place de Péroun. L’archange Michel a recueilli les attributs de Sviatovid, dieu de la guerre, celui-là même dont les