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sont comme ces mains que vous tendent les statues, — prêtes à recevoir, mais mains de marbre, incapables de soutenir ou de donner. Or le calme, la confiance, tout ce qui embellit la vie, n’est-ce pas aussi, après le pain quotidien, une richesse? « Les économistes ont bien une vague notion qu’il y a une autre richesse que le métal trouvé en Australie, puisqu’ils parlent de toutes « choses utiles » et qu’ils proclament que « le temps, c’est de l’argent ». Mais l’esprit aussi, c’est de l’argent; la santé, c’est de l’argent; le savoir, c’est de l’argent. Et toute votre santé, votre esprit et votre savoir peuvent être changés en or, mais l’or ne peut pas être changé, à son tour, en esprit et en santé. »

Et ce qui est vrai de la richesse privée, ne l’est-il pas plus encore de la richesse nationale? Est-il possible d’évaluer en chiffres, de mesurer en crédit la richesse réelle d’un pays? Il y a eu et il y a encore par le monde des pays qualifiés pauvres. Y est-on moins heureux qu’ailleurs, y est-on moins vivant, moins sain, moins énergique? et, si petits que soient ces pays-là — n’est-ce pas eux parfois qui, lorsque les pays riches hésitent, comme le soldat d’Horace qui avait trop d’or dans sa ceinture, entraînent tous les autres dans la voie de la justice et de la liberté? « Pour faire une grande nation, ce n’est pas du territoire qu’il faut, c’est des hommes, et ce n’est pas une multitude qu’il faut, mais des hommes unis. Ç’a été la folie des rois que de chercher le territoire au lieu de la vie. » Est-ce que d’avoir beaucoup de revenus pour une nation, c’est nécessairement un signe de force? Pour ne prendre que cet exemple, une des raisons pour lesquelles la France est si riche par rapport à son nombre d’habitans, c’est qu’elle produit peu d’enfans... De cette haute moyenne de fortune par habitant, les économistes triomphent. Est-ce de la force nationale, pourtant, est-ce de la richesse? — Une des raisons pour lesquelles nos dépenses budgétaires sont couvertes, c’est que chaque année les impôts sur les boissons donnent plus de ressources, parfois même dépassant les prévisions optimistes des dresseurs de budgets. Cela prouve que des gens de plus en plus nombreux laissent au fond des verres leur santé et parfois leur raison. Les économistes triomphent. Pourtant ces santés détruites, ces raisons obscurcies, si c’est de la richesse budgétaire, est-ce de la richesse nationale? Est-ce même de la richesse?

L’absurdité de pareilles propositions suffit à les juger. La vérité est que l’accumulation indéfinie de l’argent pour l’argent,