Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la vie que si ces cent hommes, transformés en valets de pied, ont passé le même temps à attendre sous des portes cochères la fin de cent bavardages inutiles, ou à figurer, inutilement, les bras croisés, à côté de cent cochers !

« Par exemple, dit Ruskin, vous êtes une jeune femme et vous employez un certain nombre de couturières pendant un temps donné en faisant un nombre donné de vêtemens simples et utiles : supposez sept, desquels vous porterez l’un pendant la moitié de l’hiver et vous donnerez les six autres aux pauvres filles qui n’en ont point. Ainsi faisant, vous dépenserez votre argent humainement. Mais si vous employez le même nombre de couturières pendant le même nombre de jours à faire quatre, cinq ou six beaux volans pour votre robe de bal, volans qui ne vêtiront personne que vous et que vous ne pourrez porter qu’à un seul bal, alors vous employez votre argent égoïstement. Vous avez, il est vrai, fait travailler dans chaque cas le même nombre de gens; mais, dans un cas, vous avez employé leur travail au service de la communauté; dans l’autre, vous l’avez entièrement consumé au vôtre. Je ne dis pas que vous ne deviez pas quelquefois penser seulement à vous et vous faire aussi belle que vous le pouvez. Seulement ne confondez pas la coquetterie avec la philanthropie et ne vous illusionnez pas vous-même en pensant que toutes les parures que vous pourrez porter sont autant de pain mis à la bouche de ceux qui sont au-dessous de vous... »

Ainsi l’or peut beaucoup contre la misère. Et la société est responsable de beaucoup des laideurs physiques qui nous entourent, mais est-elle responsable de toutes ? Ceux qui attaquent le plus la société lui offrent-ils les armes qu’il lui faut pour triompher de la misère? Nullement: ils les lui refusent, et, de la sorte, les socialistes les plus farouches ne sont pas plus près de la solution du problème social que les économistes les plus satisfaits. Car il est bien vrai que la société est responsable, mais on n’est responsable que des choses qu’on peut empêcher. Or, parmi les misères, il n’y a pas seulement celles faites de salaires insuffisans ou d’éducations imparfaites; il y a celles faites d’inconduite et, pour ne prendre qu’un exemple, d’alcoolisme. Or, pouvons-nous empêcher l’alcoolisme? Avons-nous le droit de fermer les cabarets? Les socialistes ont-ils jamais proposé quelque loi tarissant les trois quarts des fontaines d’alcool ? Et sans même toucher à la législation, avons-nous vu des municipalités socialistes user des