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son vendeur, et ils se donneront une poignée de main. Peut-être qu’aussi, en supprimant l’intermédiaire, le middleman, ils feront, tous deux, une meilleure affaire... Sur les routes passeront des voyageurs plus lents qu’aujourd’hui, mais plus attentifs. Ils porteront au loin les nouvelles embellies par leur imagination. Elles ne seront pas beaucoup plus fausses que celles que donnent les journaux... En voyant cheminer un homme, dès un quart de mille, on connaîtra sa condition sociale, car les gens de chaque caste et de chaque métier auront leur costume particulier qu’ils pourront tailler et ajuster dans la perfection, mais non intervertir. Le vitrier aura le sien et aussi la marchande des quatre-saisons. On ne sera plus exposé à prendre un sénateur pour un perruquier ni un premier ministre pour son dernier commis. Il faudra que chacun tienne son costume aussi propre que font les horse guards ou les laitières de la Reine. Mais ce n’est qu’aux jours de fête qu’on sortira des armoires des vêtemens splendides et héréditaires. Les femmes porteront, pour bijoux, de simples gemmes non taillées. Les paysans seront vêtus de couleurs simples, mais belles et claires. Les gens qui se dévouent aux malades et qui font vivre les pauvres seront vêtus de pourpre et d’or et les soldats, au contraire, de noir, — comme le bourreau. De cette sorte, les enfans, qui aiment les beaux uniformes, au lieu de jouer au soldat, joueront au philanthrope. Les nobles auront les insignes de leur caste et des joyaux, toujours non taillés, car la taille n’ajoute pas à la beauté; elle gêne les pauvres minéralogistes dans leurs recherches, et elle coûte très cher. On aurait transformé en abris sûrs tous les ports de l’Angleterre si l’on y avait employé tout l’argent gaspillé à la taille des diamans !

Ces nobles personnages, possesseurs des domaines de leurs ancêtres, n’en seront pas dépouillés, mais ils s’appliqueront à se dépouiller eux-mêmes. Ils habiteront constamment sur leurs terres; apprenant aux paysans des danses nouvelles, de la musique, et l’histoire de leur vieille terre natale et de leur vieux clocher. On ne verra plus de châtelain vivant à Hyde-Park et jetant sur le champ de courses l’or que ses paysans ont fait produire au sol natal. On le verra vivre dans son propre parc et jeter son or sur ses champs de blé et de fleurs. Cet or même, il n’en retiendra pour lui que le juste salaire dû à la direction qu’il donne au travail de ses ouvriers, — s’il est capable de leur donner quelque direction.