peut juger, par les quelques lignes qui précèdent, de la connaissance que nous avions alors des choses du sud, du désert aussi bien que des tribus qui le peuplent. Il fallait donc nous en remettre à la bonne foi de nos caïds et des personnalités arabes consultées. Garantie douteuse, on en conviendra, car de ce côté les Turcs, encore moins les souverains du Maroc, n’avaient jamais songé à exercer une autorité sérieuse. Or nous arrivions en Afrique à un moment où les deux empires affaiblis avaient à peu près renoncé à une influence quelconque dans ces parages ; certaines indications d’auteurs arabes et espagnols nous étant restées tout à fait ignorées, nous n’avions pas le moindre indice pour contrôler les affirmations qu’on nous apportait. Il y a plus. Tandis que ces tribus, placées aux extrémités des deux empires, livrées à leurs instincts, à leurs luttes toutes locales et qui ne menaçaient en rien la tranquillité générale, étaient dépendantes ou soi-disant telles des autorités turques, elles consentaient à un simulacre de soumission vers le moment des récoltes ; puis, une fois leurs approvisionnemens rentrés dans leurs ksour, elles s’enfonçaient dans les immenses steppes de leurs territoires pour y retrouver jusqu’à l’année suivante une indépendance complète. C’est ainsi que dès notre installation à Oran, à Tlemcen, ces habitans du petit désert, comme on les appelait, cessèrent même la plus courte apparition dans nos parages. Soit par crainte, soit par fanatisme religieux, ils s’en allèrent tirer leurs provisions du pays voisin.
Devant ce vide, nous devions donc être facilement trompés et l’on s’explique ainsi l’erreur du général de Lamoricière, erreur que devait partager le comte de La Rue. Le désert représentait bien pour nous la mer, une limite naturelle dont nous pensions n’avoir rien à craindre. Ce n’est d’ailleurs que plus tard que l’on eut l’idée de chercher à se rendre compte de l’importance des populations nomades au-dessous de Tiaret, Saïda et Sebdou. Nous avions créé là trois postes avancés et nous supposions cette ligne suffisante pour la protection de nos établissemens du Tell, où nous nous proposions de nous cantonner.
Cette espèce d’indifférence envers les choses du sud, la crainte que nous avions de voir Abd-er-Rhaman ne point souscrire à nos prétentions sur les tribus qu’on nous désignait comme nôtres, servirent les plénipotentiaires marocains dans ce partage des populations et des ksour. Quant à la frontière, le tracé qu’en