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vitesse, du mouvement et la prééminence de l’attaque sur la défense ; et l’énorme accroissement des dépenses maritimes, que ne compense, bien loin de là, aucune réduction des charges militaires ; et les projets menaçans que l’on devine, et l’hostilité de plus en plus marquée de l’Angleterre…

Mais nous, Français, que devons-nous penser de tout cela ? — Allons-nous croire qu’une belle escadre d’opérations de 10 cuirassés de taille diverse, d’autant de grands croiseurs ou d’éclaireurs, de 20 à 25 torpilleurs de haute mer, tous navires prêts, armés en permanence ou mobilisés en quarante-huit heures, tous navires neufs, d’ailleurs, et pouvant donner 15 nœuds au moins, considérera la garde de la mer du Nord comme le seul objet de son effort ?

Non, certainement. On a pris soin de nous en prévenir, c’est de la Manche que la flotte allemande compte bien faire le théâtre de ses opérations, et son offensive marche de front avec celle des 150 000 hommes qui doivent se jeter sur la Meurthe et la Meuse, précédant de trois ou quatre jours l’énorme masse de 15 corps d’armée.

Et alors, qu’espérons-nous ? — Barrer le Pas de Calais avec nos forces inférieures ? Mais si l’on peut barrer un défilé de quelques centaines de mètres avec une poignée d’hommes — qui finissent toujours par succomber, — on ne barre pas un détroit de 21 milles marins avec 6 cuirassés contre 10, avec 18 bâtimens contre 40.

Et puis quoi encore ? Faire la guerre de chicanes, harceler l’adversaire, gêner toutes ses opérations ?… Mais nous n’avons ni Grand-Belt, ni Petit-Belt, et point davantage la supériorité de vitesse, n’ayant pas, malheureusement, six Dupuy-de-Lôme.

Nous retirerons-nous dans la baie de Seine, aussi dangereuse à l’ami qu’à l’ennemi, ou dans l’intenable Cherbourg, ou dans la Rance et le Trieux, enfin à Brest ?… Mais à quoi bon discuter toutes les hypothèses, plus fâcheuses les unes que les autres, auxquelles peut donner lieu l’adoption d’un système défensif qui n’a même pas pour lui de présenter des points d’appui solides sur le littoral le plus menacé ? Plus encore qu’ailleurs, — tant pis pour qui ne le voit pas, — la défensive serait désastreuse dans la Manche, et l’offensive nous est imposée autant par d’évidens intérêts politiques que par l’intérêt militaire bien compris et par le caractère de la nation.