Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/939

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

virginales, dans le rythme de leur démarche et de leurs discours. Il va les aimer ou plutôt il les aime déjà. Alors, comparant en ma mémoire la fiction du poète d’Italie et celle du musicien de France, à celle où montait la mort, je préférai celle où monte la vie. Il me parut que la pensée du musicien pouvait être plus haute, mais qu’elle était plus obscure aussi, et que de la beauté formelle, plastique, surtout humaine, le poète et non pas le musicien avait le plus approché.

Du drame lyrique tel qu’on nous le propose aujourd’hui, c’est bien l’humanité qui de plus en plus se retire. Certes j’entends et je goûte même le symbolisme, à la condition pourtant qu’il soit emprunté à la vie; qu’il la dépasse, mais qu’il lui ressemble et qu’il la renferme. Je veux que des personnages symboliques soient nous-mêmes, nous à notre extrême limite, à notre dernière puissance, mais qu’ils ne nous soient pas indifférens, étrangers, ou contraires. Or, de ces fantômes héroïques ou sacrés, que prétendez-vous qui nous intéresse et nous touche? Est-ce leurs origines atmosphériques, serpentines ou végétales? Est-ce leur vocation invariablement rédemptrice et leurs façons — ou contrefaçons — de Messie et de Sauveur? Est-ce enfin leur innocence et l’estime vraiment excessive où depuis Parsifal tous ces dadais de héros wagnériens tiennent leur virginité? Mais je m’égare et je m’arrête : vous m’accuseriez d’immoralité et de gauloiserie et je passerais pour insensible à l’idéal et à la vertu.

Prenez garde pourtant. Prenez garde à la poésie et à la musique des nuées. « Encore une fois, comme disait un jour M. Jules Lemaître, les Saxons et les Germains, les Gètes et les Thraces et les peuples de la neigeuse Thulé ont fait la conquête de la Gaule. » Qui délivrera le territoire ? Jamais nous ne fûmes plus près de nous démettre de nous-mêmes et de capituler. Songez seulement à ceci, qui est grave : d’une œuvre comme Fervaal, il n’est rien, fût-ce la beauté, qui nous appartienne en propre et soit à nous ; rien qui ne revienne — car tout vient de lui — au plus allemand des maîtres allemands. L’art de Beethoven lui-même, — oui, de Beethoven, — paraît italien à côté de cet art, car il est la clarté, l’évidence, il est tout ce que nous fuyons de plus en plus pour nous incliner du côté du mystère et pour nous y enfoncer. A l’heure trouble où nous sommes, que de gens se réclament de Beethoven, avec lesquels il ne serait pas ! Oui, je sais bien : il y a le thème du finale de la Symphonie avec chœurs, le père — légitime ou putatif— de tous les leitmotive. Mais d’abord des leitmotive de cette taille et de cette carrure, on n’en trouve plus guère aujourd’hui. La mélodie a dégénéré depuis cette mélodie : en tout cas elle a sensiblement raccourci.