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C’est une paroisse très humble et ignorée du monde, très pauvre aussi, et exposée par sa situation à de continuels désastres. Inondations, avalanches, incendies, dures épidémies, pas une année ne se passe sans qu’un nouveau fléau s’abatte sur elle. Et cependant c’est une paroisse parfaitement heureuse, s’accommodant si bien de son isolement, et de sa pauvreté, et de ses fléaux même, qu’on comprend que l’abbé Wieser y ait perdu son envie de « réaliser des réformes ». Avec toute sorte d’instincts brutaux et d’habitudes grossières, les habitans de Sainte-Marie ont fidèlement gardé les mœurs d’autrefois. Ils sont naïfs, pieux, attachés à leur sol, toujours prêts à s’entr’aider en cas de besoin. Des siècles de vie commune ont fait d’eux une seule famille. Et quand quelque bonne fortune échoit à l’un d’entre eux, c’est une fête pour le village entier ; et quand l’un d’entre eux perd sa maison, ou son bien, c’est le village entier qui lui vient en aide. Riches et pauvres, d’ailleurs, obéissent également à l’autorité paternelle du bourgmestre, le prenant pour conseil en toute circonstance : allant jusqu’à lui permettre, s’il le juge à propos, de vider leurs greniers pour le salut de la commune. Ce digne bourgmestre et le curé sont les deux chefs de la famille. Nulle trace de police, ni de tribunal, ni de prison. Et puis chacun, après cela, se fait justice s’il le faut.


Mais le bonheur de ces braves gens leur vient surtout de ce qu’ils ignorent le reste du monde. Ne connaissant pas d’autre existence que la leur, ils n’ont aucune peine à s’en contenter. Et c’est, en vérité, le seul point par où la première partie du roman se rattache à la seconde, qui occupe, dans le livre, les deux cents pages suivantes.

Cette seconde partie est, en effet, expressément consacrée à soutenir une thèse, mais non pas une thèse religieuse, comme semblait l’annoncer le prologue : elle a pour objet de prouver que ce qu’on appelle le progrès n’est pour les hommes qu’une source de souffrances, et que rien n’est tel, si l’on veut vivre heureux, que de rester attaché aux coutumes anciennes. Du jour où le progrès pénètre à Sainte-Marie, c’en est fait du bonheur de ce tranquille village. Et de quelle façon le progrès y pénètre, les formes diverses qu’il y revêt tour à tour, et les ravages profonds qu’y laisse chacun d’elles, c’est ce que nous montre l’abbé dans cette seconde partie de son Journal, sans cesser toutefois de s’en tenir à son rôle de témoin et de chroniqueur.

Il nous présente d’abord des touristes arrivant par hasard à Sainte-Marie, admirant la sauvagerie et la beauté du site, s’y installant pour l’été, y amenant l’été suivant d’autres « amis de le nature ». Le village