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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/947

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L’auteur, évidemment, a voulu nous montrer combien il y avait peu de profit, pour un peuple, à échanger son ancien état de vie contre les soi-disant conquêtes de la civilisation. Mais la religion, comme l’on voit, ne joue aucun rôle dans toute l’histoire, à cela près que, dans la mesure où le progrès envahit le village, l’église se dépeuple et la foi diminue. Avec le flot des touristes, Darwin, Büchner, Nietzsche pénètrent à Sainte-Marie, où les suivront bientôt Karl Marx et Bakounine. Les paysans ne retiennent d’eux que de vaines formules qu’ils ne comprennent pas ; mais ils comprennent du moins que l’autorité du catéchisme n’est pas aussi universelle qu’ils se l’imaginaient ; et il ne leur en faut point davantage pour les conduire désormais à la dédaigner.

L’auteur aurait donc pu arrêter son récit à la ruine définitive de Sainte-Marie-en-Torwald. Le roman aurait été un plaidoyer contre le soi-disant progrès : il aurait signifié que « l’éternelle lumière » qui vient aux hommes de la parole de Dieu valait mieux pour leur bonheur que les « lumières » de toute sorte qu’on s’efforce aujourd’hui de lui substituer. Mais sans doute cette signification, qui est pourtant la seule qui ressorte de son livre, lui aura en fin de compte paru trop banale, ou trop « cléricale. » Toujours est-il que, se rappelant son prologue, il a cru devoir lui donner pour pendant une sorte d’épilogue, où, brusquement et sans l’ombre de motif, l’abbé Wieser recommence à se révolter. Lui qui, durant tout le cours du récit, a été si sage et s’est tenu si tranquille, tout entier à l’accomplissement de ses devoirs de prêtre, le voici qui, vers la fin du livre, découvre que sa religion est insuffisante et vaine : et cela, simplement, parce qu’elle ne lui a point donné le moyen de préserver ses paroissiens de la ruine et de la corruption où il les voit tombés. Il découvre tout d’un coup que les trois seuls hommes de sa paroisse qui soient restés honnêtes sont aussi les seuls qui n’aient jamais admis la doctrine catholique : l’un est un juif, l’autre un athée, le troisième un évangéliste à la manière de Tolstoï; et c’est encore une découverte qui réveille ses doutes. Et le malheureux meurt fou, comme était mort son prédécesseur. Mais on ne peut s’empêcher de croire que sa folie a commencé dès le début de cet épilogue, dès qu’il a eu l’idée extraordinaire de détourner de la foi catholique un jeune orateur socialiste, qui de tout son cœur voulait s’y convertir. « Allez plutôt là-haut voir Rolf le bûcheron, lui seul vous dira ce qu’il convient de croire ! » dit cet invraisemblable prêtre au jeune néophyte; et ce Rolf qu’il admet pour maître est un vrai mécréant, contempteur déclaré des prêtres et de l’Église et de tout ce