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en d’autres termes, les puissances ne permettraient pas à celui des deux adversaires qui attaquerait l’autre de profiter de la victoire qu’il pourrait remporter, ni d’en retirer le moindre profit territorial. Évidemment la notification de l’Europe ne s’adressait qu’aux Grecs ; mais les Turcs seuls y ont répondu jusqu’ici. C’est qu’ils n’étaient pas en peine pour le faire. Ils n’ont aucun désir de se battre ; ils savent bien, sans qu’on ait besoin de le leur dire, que, s’ils étaient vainqueurs, on ne leur permettrait pas de profiter de la victoire, et ils sont de trop parfaits réalistes pour sacrifier grand’chose à la pure satisfaction morale de se venger de leurs ennemis. Mais l’occasion leur a paru bonne de mettre en parallèle leur conduite et celle des Grecs depuis l’origine de la crise actuelle. Malgré toutes les provocations qui ont été dirigées contre eux, ils sont restés sur la défensive, sur l’expectative, sans qu’on puisse leur reprocher un seul acte qui n’aurait pas été conforme aux conseils et aux volontés des puissances. Ils se sont naturellement empressés d’accuser réception à l’Europe de sa note du 6 avril. Ils y ont vu avec la plus grande satisfaction qu’on ne permettrait en aucun cas à l’agresseur de tirer parti de son succès, et cette règle leur a paru si bien imaginée qu’ils ont voulu immédiatement l’étendre à tous les territoires aujourd’hui en cause, à la Crète aussi bien qu’à la Macédoine. Quel est l’agresseur en Crète, si ce n’est le Grec ? En présence d’une invasion aussi contraire au droit des gens que celle du colonel Vassos, la Porte a dû prendre des précautions que tout autre aurait prises à sa place. Elle a mobilisé son armée et l’a concentrée sur la frontière de Macédoine. Mais elle déclare être prête à la retirer aussitôt que les Grecs auront eux-mêmes retiré leurs troupes de la Thessalie et de la Crète. On ne peut pas reprocher à la Porte de n’avoir pas bien posé la question : par malheur, il ne suffit pas de la bien poser pour la résoudre.

Il est douteux que la Grèce ait conservé sur elle-même, après avoir déjà cédé à tant d’entraînemens, une maîtrise suffisante pour résister à ceux qui seraient finalement irrémédiables. L’heure dangereuse, annoncée depuis longtemps sans qu’on ait rien fait pour y pourvoir, est sur le point de sonner. Le printemps approche. Les neiges commencent à fondre sur le flanc des montagnes. En même temps, la fusillade éclate. Qui sait si, dans quelques jours, l’Europe ne s’apercevra pas une fois de plus qu’elle a laissé passer le moment précis où son action aurait pu se produire utilement ? Lorsqu’elle s’est décidée à mettre le blocus devant la Crète, il était déjà trop tard ; le colonel Vassos y avait débarqué ses soldats. Lorsqu’elle se décidera, si elle s’y décide jamais, à mettre le blocus devant la Grèce, il sera trop tard aussi. La