de leur bonne fortune, déclaration très propre à les refroidir. Au surplus, il faut le leur répéter sans cesse, ce n’est pas la victoire, c’est la défaite qui est à prévoir pour eux. Ils ne s’attaquent pas à un ennemi plus faible et déjà démoralisé par le sentiment de son impuissance. L’armée turque, au contraire, a pleine confiance dans sa supériorité. Nous avons dit les motifs pour lesquels le gouvernement ottoman ne désirait pas être mis dans l’obligation de se battre ; mais il ne redoute pas cette éventualité, et il y a longtemps qu’il l’a envisagée sans la moindre crainte. Les dépêches de Constantinople assurent que la Porte vient d’adresser une note à la Grèce pour lui déclarer qu’elle la tiendrait responsable des agressions qui seraient désormais dirigées contre son territoire par des bandes formées sur le territoire grec. Si un nouvel incident vient à se produire, Edhem-Pacha a reçu l’ordre de passer immédiatement la frontière. Personne en Europe ne pourrait s’opposer à l’exécution de cette menace, et, pour dire la vérité, de toutes les notifications qui ont été adressées à la Grèce dans ces derniers temps, c’est celle-là qui paraît de nature à faire sur elle l’effet le plus salutaire. L’armée turque a poussé la patience aussi loin qu’on pouvait le lui demander, et plus loin qu’on ne pouvait l’attendre d’elle : sa résolution nouvelle exercera peut-être sur celle de la Grèce une influence plus efficace que ne le ferait un nouveau blocus. Mais toutes les prévisions sont plus que jamais incertaines, et on ne peut s’empêcher d’éprouver une pénible anxiété en songeant que, d’un jour à l’autre, ce qu’il y a d’artificiel dans les précautions de la diplomatie européenne peut se manifester par des actes décisifs. Si la guerre éclate, nous espérons du moins que l’Europe, grâce à la ligue des États neutres des Balkans, réussira à la limiter entre les Turcs et les Grecs, et à la localiser dans la Macédoine. Mais nous aimons encore mieux espérer que la Grèce s’arrêtera elle-même au bord de l’abîme : tous ses amis véritables doivent le souhaiter.
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Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.