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prêtait aux qualités décoratives que Rubans y manifeste et semble avoir inspiré nos peintres du XVIIIe siècle. Mais, à moins qu’elle n’ait été motivée par l’agencement architectural de la salle qui devait contenir ces peintures, nous avons peine à croire que le maître s’y serait définitivement conformé, car elles n’offrent aucune analogie avec l’ordonnance très simple des autres esquisses connues, pas plus qu’avec celle des tableaux de la galerie de Médicis.

Si intéressantes d’ailleurs que soient ces diverses esquisses, les deux tableaux des Uffizi ont à la fois une importance et une valeur d’art très supérieures. La Bataille d’Ivry n’est cependant, à vrai dire, qu’une grande ébauche dans laquelle Rubens s’est surtout préoccupé de la répartition des masses et des valeurs, en posant çà et là, sur un fond de tons neutres et très rapprochés les uns des autres, quelques colorations amorties, des jaunes pâles et des rouges effacés. Mais l’ampleur magistrale avec laquelle le peintre a conduit cette vaste toile et le sens pittoresque dont il fait preuve dans la composition montrent assez le profit qu’il a tiré de ses travaux antérieurs. On sait quel est d’ordinaire l’écueil de ces tableaux de batailles dont le mouvement, s’il n’est pas réglé, n’aboutit souvent qu’au chaos et s’il est trop contenu ne nous laisse qu’une impression de froideur, peu compatible avec ce qu’on attend d’un pareil sujet. En nous donnant partout l’idée d’une lutte violente et acharnée, Rubens a réservé pour le centre l’action décisive. Tandis qu’au ciel Bellone et la Victoire traversent les airs d’un vol rapide, les combattans se pressent de part et d’autre autour de leurs chefs qui s’abordent menaçans. Mais à voir de quelle impulsion irrésistible Henri IV affronte son ennemi on sent que celui-ci ne pourra résister à un pareil choc. Déjà, en effet, la débandade se met dans ses rangs et l’élan toujours plus impétueux des assaillans achève sa défaite. Participant à la furie générale, les chevaux eux-mêmes se heurtent et se mordent mutuellement, et Rubens, dans cet épisode dramatique, s’est sans doute souvenu du groupe de la Bataille d’Anghiari qu’il avait copié pendant son séjour en Italie. On ne saurait pourtant songer à une réminiscence, tant ce groupe est intimement lié au reste de la composition et fait corps avec elle. L’unité de l’œuvre est parfaite et, sans effort apparent, l’artiste y atteint un effet très pathétique.

Avec des qualités d’arrangement au moins égales, l’exécution de l’Entrée triomphale d’Henri IV à Paris a été poussée plus