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et écussons eussent pu servir de preuve que, dans le pays des bûchers, il ne faut pas jouer avec le feu. M. Canovas del Castillo ne s’en défend pas : il a eu alors de terribles jours et de terribles nuits. Le moindre monôme d’étudians partant de la Puerta del Sol, par la Galle Mayor, pouvait arriver à la Plaza de San Martin, où est la légation des Etats-Unis, foule furieuse, peuple déchaîné. Certes, il le dit avec son énergie tranquille, M. Canovas eût mobilisé — et on le savait — toute la garnison de Madrid plutôt que de permettre qu’il fût porté en la personne du ministre des États-Unis ou d’aucun des siens atteinte à la loyauté et à l’hospitalité de l’Espagne. Mais la situation eût été plus que grave et le différend ou les dissentimens s’en seraient mortellement envenimés...

Grâce, par conséquent, au gouvernement et à la nation espagnols comme au gouvernement et à la partie assise et rassise de la nation américaine, les pires maux, le suprême péril ont pu être jusqu’ici évités. L’échéance du 4 mars, à laquelle devait s’opérer aux Etats-Unis la transmission des pouvoirs présidentiels et dont on avait dit que ce serait pour le ministère espagnol « le Cap des Tempêtes » a été franchie sans accident. Et déjà en Espagne on débaptise ce cap redoutable enfin doublé, et l’on salue déjà « le Cap de Bonne-Espérance. » Le dernier mot de M. Cleveland avait été « la paix » : le premier mot de M. Mac Kinley a été « la paix ». En entrant à la Maison-Blanche, M. Mac Kinley a épousé la tradition de la politique officielle, circonspecte et correcte. Et c’est encore une justice à rendre à M. Canovas del Castillo que, de tous les Espagnols, il est sans doute celui que le changement de présidence aux Etats-Unis préoccupait ou inquiétait témoins: le sens profond qu’il a du gouvernement l’avertissant que, n’importe quel homme politique fût élu, cet homme ne serait pas tant un Président nouveau que le successeur, l’héritier et le continuateur d’une longue série de Présidens. Mais aussi, et précisément parce que tout de suite la tradition le lie et qu’il devient un anneau de la chaîne, cette politique officielle, s’il en accepte et s’il en perpétue les formes de correction et de réserve, le Président élu n’en modifie pas, il n’en fait ni dévier ni obliquer la direction : en cela également il est un successeur, un héritier et un continuateur.

C’est pourquoi les difficultés à propos de Cuba, qui n’ont pas empiré par l’arrivée de M. Mac Kinley aux affaires, n’en ont pas