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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/175

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trop lu, trop agi, trop observé, trop créé, trop collectionné. Entre lui et son rêve de poète, il avait mis trop de minéraux, de végétaux, de paperasses administratives. Sous le regard de deux yeux tristes, au contact d’une âme très douce et comme voilée d’un mystère de mélancolie, son cœur put retrouver sa fraîcheur printanière : mais sa lourde main d’ancien ministre, de conseiller privé, de directeur des Musées trahit en maint endroit ce cœur rajeuni ; en sorte que beaucoup de pages déparent l’œuvre par leur pesante pédanterie. On s’égare trop souvent par des dissertations d’agriculture, d’architecture ou d’économie rurale. Si encore elles n’étaient qu’intempestives, si elles ne faisaient que ralentir l’intérêt ou troubler la tonalité générale du récit ! Mais le fâcheux esprit dont elles témoignent s’infiltre plus profond : il pénètre parfois les personnages, il les arrache mal à propos à leur préoccupation dominante, ou même il la dénature jusqu’à la rendre fausse ou invraisemblable. Edouard, heureusement, en est affranchi dès qu’il est amoureux. Charlotte, pas toujours. Moins encore le capitaine. Et Ottilie… Hélas ! c’est Ottilie surtout qui est atteinte de ce mal, et comme l’œuvre en pâtit ! Dans son ensemble, la figure est charmante, nous l’avons déjà dit, d’une grâce mélancolique et discrète dont on se sent bien vite ému, comme au heurt de certains regards, comme au son de certaines voix ; elle est tendre, bonne et naïve, et chastement passionnée, et faible et forte à la fois, avec ces contradictions, ces reviremens, ces abandons, ces reprises dont l’instinct féminin joue, même sans ruse, pour nous attirer, nous prendre et nous garder. Pourquoi faut-il que Gœthe s’oublie à souffler, dans cette adorable tête de jeune fille, des pensées qui portent sa marque à lui — et pas toujours la meilleure ? C’est ainsi que, pour nous initier aux doux mystères de son âme, il a imaginé de lui faire tenir un journal. Oh ! ce journal, quelle déception ! Jugez-en par ces échantillons, que je prends presque au hasard :

« … La société des femmes est la source du bon usage… »

« … Personne n’a de plus grands avantages, dans la vie en général comme dans les relations de société, qu’un militaire poli… »

« … La plus grande consolation de la médiocrité, c’est que l’homme de génie n’est pas immortel… »

« … Les sots et les gens sensés sont également inoffensifs : on court plus de risques avec les demi-sots ou les demi--sages… »