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militaire, l’aidant bénévolement à réprimer l’insurrection polonaise, ne négligeant rien enfin pour prendre auprès de lui, et d’une manière définitive, la place que nous avions laissée vacante. Certes, nous nous étions laissé guider par les sentimens les plus estimables, et si l’histoire distribuait des prix de vertu, c’est à l’empereur Napoléon III et non pas à M. de Bismarck qu’elle en décernerait un. À défaut de cette récompense à laquelle il ne tenait peut-être pas beaucoup, M. de Bismarck a eu pendant de longues années l’amitié ferme, immuable, inébranlable de la Russie. Grâce à elle, il a fait Sadowa et Sedan, et, lorsque la guerre de 1870-1871 a été finie, on connaît le télégramme par lequel l’empereur d’Allemagne en faisait connaître le dénouement à l’empereur de Russie. Il est daté de Versailles, le 26 février, et il est ainsi conçu : « C’est avec un sentiment inexprimable et en rendant grâces à Dieu que je vous annonce que les préliminaires de la paix viennent d’être signés. Jamais la Prusse n’oubliera que c’est à vous qu’elle doit que la guerre n’ait pas pris des proportions extrêmes. Que Dieu vous en bénisse ! Pour la vie votre ami reconnaissant. »

Pour la vie était beaucoup dire : quelques années après, lorsque l’Allemagne aurait pu payer à la Russie sa dette de reconnaissance, médiocrement elle s’en est acquittée. Le traité de Berlin a ouvert une phase nouvelle, où la Russie s’est peu à peu, et de plus en plus, mise à l’écart de l’Allemagne. D’autres combinaisons ont pu alors se préparer et plus tard se produire. L’histoire se répète quelquefois ; espérons que ce ne sera pas jusqu’au bout ; mais c’est à nous de ne pas recommencer les mêmes fautes, si nous voulons échapper aux mêmes conséquences. Nous sommes revenus aujourd’hui à la politique que nous suivions, il y a trente-cinq ans, à l’égard de la Russie. Nous sommes mêmes allés plus loin qu’à cette époque, puisqu’il n’y avait alors qu’un rapprochement plus ou moins étroit, tandis qu’on a parlé aujourd’hui d’alliance, et nous croyons que ce mot correspond à la réalité des faits. Quant à l’Allemagne, bien qu’elle ne soit plus gouvernée par M. de Bismarck, elle l’est toujours par le même esprit et conformément aux mêmes principes. Comme alors, elle a pour objet principal de profiter de toutes les circonstances qui pourraient nous éloigner de la Russie, et de faire naître entre celle-ci et nous un germe quelconque de mésintelligence. Elle n’y est pas parvenue ; sans doute elle n’y parviendra pas. En tout cas, elle n’aurait aucune chance d’y réussir, si elle s’attaquait à la difficulté d’une manière directe. Fidèle à ses traditions, elle attend le moment propice et ne se défend pas de le préparer. Les événemens d’Orient se sont produits. Les massacres d’Arménie