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FRANÇOIS VIÈTE.

ni d’un tel succès. Catherine de Rohan plaisait à Henri IV, qui, pour qu’elle n’en ignorât, lui demanda un jour le chemin de sa chambre à coucher. La réponse fut prompte : « Sire, répondit la belle et spirituelle jeune fille, il passe par l’église ! » Malheureusement son église était le temple. Catherine de Rohan, au prix d’une messe, aurait pu devenir reine de France.

Lorsque, après vingt-huit ans de mariage, le Saint-Siège, moins rigoureux dans cette question difficile qu’il ne l’avait été pour Henri VIII dont le cas était tout semblable, eut annulé sa malheureuse union avec Marguerite de Valois, Henri IV discuta avec Sully la liste des princesses et des Françaises d’assez grande famille pour pouvoir partager la couronne, sa cousine de Rohan était la préférée.

La vicomtesse de Rohan et sa belle-sœur devenue duchesse de Loudunois rivalisaient pour Viète de prévenances et d’amitiés. Tantôt chez son élève, au château de Blain en Bretagne, tantôt chez son amie, au château de Beauvoir-sur-Mer en Vendée, on le laissait s’enivrer de géométrie et d’algèbre. On le voyait, la tête appuyée sur son coude, méditer pendant des journées entières, oubliant les repas et le sommeil. Catherine de Parthenay, sa chère élève, était confidente de ses découvertes. Viète, dans la préface de l’un de ses ouvrages, la compare à Mélusine et invoque pour elle la reconnaissance de la fée. La seconde amie de Viète, la première peut-être, n’était pas savante. Sa reconnaissance, toutefois, ne sépare pas les deux belles-sœurs. « C’est vous, leur dit-il, qui m’avez arraché aux brigands qui menaçaient ma vie. » Quels sont ces brigands ? il est aisé de le deviner. Les voyageurs, en ces tristes temps, plus exposés aux embûches des brigands qu’aux accidens de chemins de fer aujourd’hui, étaient détroussés et taxés sur toutes les routes. Les deux amies de Viète avaient sans doute payé sa rançon ; peut-être effrayé par des menaces ceux qui l’avaient cru une proie sans importance.

Benjamin Filon, érudit très zélé pour la mémoire de Viète, et riche en documens intimes sur sa vie, a découvert l’achat fait par lui d’une petite maison à Beauvoir-sur-Mer, près du château de Françoise de Rohan. Pourquoi Viète, certain d’un accueil empressé et cordial, n’allait-il pas s’installer au château ? Il craignait de compromettre son amie et préférait que, loin du grand monde qui l’entourait, elle vînt, comme plus tard la princesse palatine Élisabeth chez Descartes, le visiter dans l’intimité. Cette expli-