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devant ces autres Dames du temps jadis, la banale complainte du vieux poète :


Dictes-moy où, n’en quel païs,
Est Flora, la belle Romaine;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine;
Écho, parlant quand bruyct on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beaulté eut trop plus qu’humaine?
Mais où sont les neiges d’antan?


Par trois fois, le poète de la ballade a demandé avec angoisse: « où sont les neiges d’antan? » Mais que peut bien nous faire la destinée de ce composé chimique? D’ailleurs, nous le savons, ce que devient la neige... Elle devient d’abord de la boue. Puis elle devient ce qui féconde, ce qui porte à la plante naissante et préservée par elle sa nourriture éparse dans le sol, et voici que, grâce à cette eau, la plante toute drue de chaux et toute verte d’azote, se dresse, monte et s’épanouit sous le soleil. Les chimistes et les agronomes ont donc répondu, sur ce point, à Villon. Mais à cette question beaucoup plus importante : où sont les femmes d’antan? — qui peut répondre? Pourtant, lorsque la neige elle-même ne se perd point, mais fondant et fertilisant, revient à la surface des terres, en verdures et en fleurs, peut-on croire que la beauté des dames du temps jadis ne revienne pas jouer son rôle dans l’économie du monde et dans son bonheur ?

Nous ne le croyons pas. Neiges d’antan, femmes d’antan, ne sont pas aussi disparues que le dit le poète. Voici que l’argent produit par cette exposition des portraits de femmes et d’enfans à l’École des Beaux-Arts va servir à alimenter les œuvres que la Société philanthropique a créées pour les pauvres : des asiles pour les femmes, des dispensaires pour les enfans. Il y a ainsi à travers les âges, comme à travers les couches sociales, des liens qui unissent l’humanité triomphante à l’humanité souffrante et les morts aux vivans. L’autre jour, je visitais un des hôpitaux créés par cette société dans un quartier misérable, aux toits, bas, aux rues défoncées, aux murailles suintantes, parmi ces terrains vagues où chaque matin la ville immense rejette ses rebuts, ses loques, ses souillures, son écume, les détritus des choses qu’elle croit épuisées et qu’elle ne veut plus garder devant elle, sitôt qu’elle en a tiré le suc. Assurément on ne pensait guère aux