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dans la musique, le rêve, le desideratum de tout Provençal pur sang qui accomplit son service militaire. Quelques-uns, en très petite minorité, embrassaient la carrière des armes et ne retournaient plus au hameau ; d’autres, bien plus nombreux, dépouillaient sans regret l’uniforme et reprenaient avec empressement la bêche du cultivateur[1].

À l’époque du premier Empire, la redoutable conscription, entre autres jeunes gens, en arracha deux à leurs foyers qui survécurent aux rudes épreuves de ce temps. L’un d’eux, V…, fils d’un simple fermier, finit par conquérir l’épaulette et par recevoir la croix de la Légion d’honneur ; après avoir servi comme officier comptable, emploi éminemment convenable aux aptitudes de la race intelligente et honnête des paysans de la Basse-Provence, il prit sa retraite à Marseille et utilisa honorablement ses connaissances acquises comme caissier d’une importante maison de banque. L’autre, Barthélémy F…, revint au village après sa libération ; il avait fait toutes les campagnes de Napoléon. Aucun érudit n’a recueilli le détail de ses aventures au milieu des prodigieux événemens qu’avait traversés mestré Mimieù ; il est probable néanmoins que ses souvenirs présentaient peu d’intérêt, à en juger par ses narrations de batailles qui se résumaient à l’éternelle phrase : Dé tabac n’y avié (tabac, est-il besoin de le dire ? signifie ici massacre, carnage). Évidemment le digne troupier faisait partie du clan des résignés, plutôt que de la catégorie des enthousiastes[2].

Depuis la promulgation des nouvelles lois militaires, les circonstances ont changé du tout au tout. Les jeunes gens d’aujourd’hui parlent assez mal le français, mais le comprennent à merveille ;

  1. En général, par tempérament, les Provençaux n’ont ni goût, ni aptitude pour l’état de domestique. Aussi les anciens militaires de notre région ne méritaient-ils guère le reproche qu’on faisait autrefois aux soldats de métier : celui de rechercher la livrée après leur libération, plutôt que de retourner au clocher natal.
  2. En 1811, l’ensemble de la commune du Puy-Sainte-Réparade fournit 14 conscrits. Sur ce nombre, 4 sont réformés, 2 envoyés dans des dépôts, 1 classé dans les ouvriers militaires, 7 incorporés dans des compagnies actives. Deux de ces derniers, affectés au 120e de ligne, désertent en janvier 1812. À raison de cette circonstance, les contribuables de la commune payent, pour 1813, un supplément d’impositions. On peut constater aussi, sur le registre paroissial du hameau, un fait assez curieux : pendant l’année 1813, le desservant bénit jusqu’à treize mariages (au lieu de quatre à cinq, moyenne des quinze premières années du siècle), dont quatre contractés par des garçons encore mineurs. En janvier 1814, nouveau mariage d’adolescent. Plus tard, les unions précoces deviennent assez rares, parce que la loi du recrutement perd de son inflexibilité et que le paysan peut éviter de servir sans avoir recours à des moyens aussi extrêmes.