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pas accordé à la Grèce cette dernière faveur de lui faire expier ses fautes sur un théâtre lointain, où l’imagination d’un ministre avait plus de part que les véritables intérêts du pays. C’est sur sa frontière même que son existence a été jouée étourdiment. M. Delyannis est tombé : il n’était que temps. Il a exigé qu’on le renvoyât : de toutes les responsabilités que le roi a prises, celle-là sans doute est celle qui lui a le moins coûté. Déjà la révolution se promenait bruyamment dans les rues d’Athènes, avec son escorte habituelle de professionnels cosmopolites, venus de tous les coins du monde, et qui, après une courte apparition à l’armée de Thessalie, s’étaient bien vite repliés sur la capitale. M. Ralli, hier encore le chef d’une opposition qui ne disposait dans la Chambre que d’une minorité minuscule, porté, imposé par les circonstances, est arrivé au pouvoir. Il a un grand rôle à jouer. Avec lui naît un parti nouveau, qui recueillera sans doute les débris du tricoupisme, et qui pourra rendre des services à son pays. Saura-t-il panser tant de plaies saignantes, maintenir l’ordre, rétablir la paix? Le roi, qui a suivi M. Delyannis dans ses fautes, et qui a paru même l’y encourager, retrouvera-t-il l’équilibre moral qu’il a montré pendant plus de trente années? Le mal qui a été fait sera-t-il réparé? Nous l’espérons, puisque après tant de retards inexplicables, tant de délais injustifiables, le gouvernement hellénique s’est enfin décidé à faire savoir à l’Europe qu’il rappelait les troupes de Crète, et qu’il devait recourir à sa médiation. Nous en sommes là. On peut sans doute regarder la guerre comme terminée ; mais d’autres difficultés commencent, et il faudrait avoir un optimisme très tenace pour envisager la situation avec une pleine confiance et une entière sécurité. Nous ne voulons pas être trop sévère pour la Grèce ; elle est assez punie par les événemens qu’elle a déchaînés sur elle ; mais le moins qu’on puisse dire de la guerre qu’elle a si malencontreusement entreprise est que l’œuvre des réformes et de la civilisation en a été retardée, peut-être pour longtemps.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.