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II

Le 7 novembre après dîner, le Roi partit en chaise pour Versailles où il arriva sur les cinq heures. La Princesse était partie le matin avec ses dames, et s’était arrêtée pour dîner au Plessis. Nous avons vu que Prudhomme, l’ancien barbier du Roi, qui y demeurait, donnait souvent l’hospitalité à Messeigneurs les petits Princes quand ceux-ci faisaient la route de Fontainebleau à Versailles. Prudhomme eut également l’honneur d’offrir à dîner à la Princesse ; et il faut reconnaître qu’il y avait plus de bonhomie que d’ordinaire on ne pense, dans ces mœurs qui permettaient à un vieux serviteur d’offrir ainsi à dîner aux futurs héritiers du trône. Lorsque le Roi passa à une heure devant la maison de Prudhomme, la Princesse remonta dans son carrosse et arriva en même temps que lui à Versailles. « le Roi, à la descente du carrosse, voulut encore donner la main à la Princesse et la mena dans le grand appartement de Madame la Dauphine qu’on trouva superbement meublé. Elle y demeurera, ajoute Dangeau[1], jusqu’à ce qu’elle soit mariée. »

Nous avons vu l’impression que la Princesse produisit à la Cour. Ce qui serait encore plus intéressant à connaître, ce serait l’impression que la Cour produisit sur elle. On voudrait savoir quelles pensées s’agitaient dans cette petite tête, lorsque, après une longue journée de réception et de cérémonies où on ne l’avait pas laissée seule un instant, elle la posait enfin sur son oreiller. Malheureusement nous en sommes sur ce point réduit aux conjectures. Des premiers temps de son séjour à Versailles et de ses premiers jugemens, il ne subsiste d’autre témoignage direct que de courtes lettres à sa grand’mère, Madame Royale, qui sentent la timidité d’une enfant et la gêne d’une nouvelle arrivée. Elle y parle souvent des bontés du Roi et de Mme de Maintenon. Mais elle ne laisse échapper aucun jugement. Si jeune qu’elle fût, elle devait déjà trop connaître les mœurs des cours pour ne pas savoir que sa correspondance serait surveillée, et elle n’a garde de se compromettre. Le peu qu’elle en dit, et surtout ce que nous savons de son attitude dans ces premiers jours, montre cependant qu’elle avait su mettre en pratique, avec une précocité

  1. Tome VI, p. 27.