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de pitié, de vie, quelque lumière moins calme et un paysage moins indifférent.

En 1857, M. Gérome, par la décision fine et précise de son style, par l’ingéniosité de ses compositions, par la variété et la sagacité de ses observations, agrandissait déjà singulièrement le champ de la peinture anecdotique et ethnographique. Ceux qui connaissent l’histoire de l’art contemporain savent quelle action rapide exercèrent, en des sens bien différens, deux au moins de ses tableaux alors exposés : la Sortie du bal masqué, sur les peintres de la vie parisienne, la Prière chez un chef Arnaute, sur les peintres orientalistes. Les années suivantes, le Roi Candaule, César, Phryné n’avaient pas moins de retentissement et créaient l’école archéologique. M. Gérome n’a pas été moins fécond que M. Bouguereau, il a suivi sa voie avec la même rectitude ; il a seulement ajouté, chemin faisant, à sa renommée de peintre une renommée non moins justifiée de sculpteur. On retrouve dans ses œuvres de cette année ses qualités accoutumées, dans la Fuite en Égypte un sentiment profond et délicatement exprimé du calme, du silence, de la nuit, du désert, dans l’Entrée de Jésus à Jérusalem, avec l’exactitude toujours curieuse du paysage, cet agrément et cette netteté de mise en scène qui assurent toujours à ses compositions, reproduites par la gravure, une rapide et légitime popularité.

Les portraits de MM. Bonnat, Henner, Paul Dubois tiennent toujours le premier rang dans cet ordre de productions. Tant que des artistes de cette valeur conservent de bons yeux et une bonne main, c’est assurément une grosse sottise de leur reprocher une monotonie qui n’est qu’apparente et qui ne l’est même que pour des regards peu exercés. N’est-ce pas en maniant avec patience le même outil que l’ouvrier apprend à s’en mieux servir ? Nous ne voyons guère le profit qu’ont tiré tant de jeunes artistes à changer de procédé suivant les modes, presque chaque année, alors que nous constatons, chez ceux-là, les résultats obtenus par la persévérance. Si l’on pouvait comparer les portraits exposés par M. Bonnat en 1857 avec son Portrait de M. Joseph Bertrand, de l’Académie française, on les trouverait, sans doute, à côté de cette effigie énergique, incertains ou pesans. Jamais M. Bonnat n’a sculpté, en plus belle pâte, dans un relief plus accentué, avec une exactitude et une solidité plus vivantes des dessous osseux et des enveloppes cutanées, plus franchement, ni plus hardiment,