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gestes de ces paysans vraiment saisis dans la naïveté de leurs occupations familières. Sur le champ plat qu’illumine doucement une lueur rosée du soleil, tombé là-bas, sous l’horizon, un paysan et une paysanne, debout, dressent, au milieu, un faisceau de gerbes, tandis que, sur le devant, deux jeunes filles se baissent pour ramasser à terre d’autres paquets d’œillettes (l’une de ces deux figures, celle de droite, tête nue, pieds nus, corsage flottant, est d’une poésie tout à fait charmante). A gauche, dans l’éloignement, quelques femmes plus âgées, coiffées de capelines, longeant le champ d’oeillettes, continuent la récolte. Quel plaisir on éprouve à sentir dans toutes ces attitudes, dans tous ces gestes, dans tous ces airs de tête, les charmes de la vérité simplement sentie et délicatement exprimée ! Et quelle joie de sensations saines donnée par l’exquise et savante résonance de toutes les notes de couleurs tendres et apaisées sous le doigté léger et savant du peintre-poète dans le calme grave de ce tiède crépuscule ! L’influence de M. Jules Breton sur les peintres campagnards, depuis quarante ans, n’a pas été moindre que celle de M. Français sur les paysagistes ; cette dernière œuvre n’est point faite pour en diminuer l’action. N’est-il pas naturel que cette action se soit exercée d’abord en famille ? Dans le groupe, de grandeur naturelle, peint par Mme Démont-Breton, A l’eau, une paysanne entraînant vers la vague un enfant nu qui pleure et qui résiste, on retrouve le goût paternel pour la fusion caressante de la lumière autour des formes, en même temps qu’une fermeté, toute masculine, dans le dessin des nus. On pourrait encore trouver, parmi les survivans de 1857 et de 1859, d’autres peintres dont le talent, grâce à une conviction soutenue, s’est mûri sans déchoir ; nous nous contenterons de citer M. Appian, de Lyon, le contemporain de M. Harpignies, avec son Commencement de Crépuscule.


II

C’est par les mêmes qualités de persévérance réfléchie dans leurs études et d’obéissance sincère et constante à leur tempérament que, dans la génération intermédiaire, celle qui a fait ses débuts entre 1860 environ et 1875, mais qui fut déjà plus troublée et plus incertaine, un certain nombre de peintres ont survécu au trop prompt naufrage de la plupart de leurs compagnons, victimes