et ceux de l’aliénation mentale, la nature semble avoir voulu nous apprendre à respecter ce malheur suprême qui est la folie, et à ne point nous laisser, d’autre part, trop éblouir par ces génies, qui, au lieu de s’élever sur la gigantesque orbite des planètes, pourraient, étoiles filantes éperdues, s’abîmer dans la croûte terrestre, parmi les erreurs et les précipices. » Cette image vous paraîtra un peu confuse ; ayez quelque complaisance, vous la trouverez claire.
Mais il ne suffit pas d’affirmer que la théorie de la psychose du génie est une vérité consolante, il faut démontrer qu’elle est vraie, et les gens d’humeur difficile et rétive penseront peut-être qu’en matière de démonstration, M. Lombroso se contente de peu. Ce médecin aliéniste, très expérimenté et très habile, est un laborieux compilateur d’anecdotes, qui lui fournissent ses argumens les plus péremptoires. Quelques-unes sont curieuses, d’autres sont suspectes ; la plupart sont moins concluantes qu’il ne le croit. Est-il fermement convaincu que La Fontaine ait composé en songe sa fable des Deux Pigeons ? Pourrait-il jurer que le pape Clément VI, Malebranche et Cornélius aient été de purs imbéciles jusqu’au jour où ils devinrent hommes d’esprit, pour avoir reçu un coup de pied de cheval, qui leur fracassa le crâne ? Donnerait-il sa tête à couper que Hegel, dans un accès de mégalomanie, commença une de ses leçons par ces mots : « Je puis dire avec le Christ que non seulement j’enseigne la vérité, mais que je suis moi-même la vérité. » Quiconque a pratiqué Hegel se défiera de cette historiette. D’autre part, si nous devons croire que Newton bourra un jour sa pipe avec le doigt d’une de ses nièces, qu’Ampère, tout occupé d’un problème, perdit son cheval sans s’en douter, que Mozart, en coupant sa viande, se coupait souvent les doigts, en conclurons-nous que Mozart, Ampère et Newton étaient des fous commencés ? Si Poisson a dit « que la vie n’était bonne à rien qu’à faire des mathématiques », faut-il en inférer qu’il avait le cerveau détraqué ? Quand il serait prouvé que Luce de Lancival, à qui les brocards de Geoffroy étaient insupportables, sourit aux médecins qui lui amputaient les deux jambes, cela prouve-t-il que Luce de Lancival eût du génie ou qu’il fût atteint d’une psychose ?
M. Lombroso fait grand cas des anecdotes et il a une confiance absolue dans les tableaux statistiques ; n’eût-il recueilli que des données incomplètes ou incertaines, il ne laisse pas d’en tirer des conséquences décisives. Ayant constaté, par exemple, que « l’éclosion des maladies mentales se produit le plus souvent dans les premières chaleurs de l’année, » il s’est livré à de patientes recherches pour établir