Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle pense lui avoir ôté le droit de se servir des renseignemens que lui donnera sa nièce hors du confessionnal, cela est proprement stupide. Prévenu par Néra, le bon évêque n’aura qu’à dépêcher à Mérovée un courrier qui aura des chances d’arriver avant Lother : sans compter que Lother n’égorgera peut-être pas son ami dès la première minute. Le seul souci de Frédégonde devrait être de supprimer Néra avant que la jeune fille n’ait pu parler à son oncle. Elle n’aurait plus alors besoin de se confesser, et s’épargnerait ainsi deux sottises. Mais il est bien vrai que « la belle scène » serait fauchée du coup.

Il y a des théoriciens qui disent : « Ces invraisemblances, même ces-impossibilités morales que vous qualifiez d’absurdités, nous les décorons, nous, du beau nom de postulats. Un postulat dramatique a le droit d’être idiot. C’est une convention. Le théâtre a pour objet, non de reproduire le vrai, mais de faire paraître vrai ce qu’il nous montre, et cela, dans le moment seul de la représentation. La grande scène du quatrième acte de Frédégonde est éminemment tragique. Nous avons tous frémi en l’écoutant. Le fondement en est ruineux, d’accord : qu’est-ce que cela fait, si nous ne nous en apercevons qu’après ? »

Le malheur, c’est que je m’en suis aperçu pendant. Et à cause de cela, je n’ai pas pu frémir. Or, si nous reconnaissons au théâtre le droit d’être aussi inepte qu’il voudra dans son fond, pourvu qu’il nous divertisse ou nous remue (ce qui n’est peut-être pas s’en former une bien fière idée), au moins faut-il qu’il nous remue en effet ou nous divertisse. Mais au reste, on oublie de faire deux distinctions bien nécessaires.

Toutes conventions ne sont pas bonnes pour tous les genres. Celle dont il est question ici et qui peut se formuler en ces termes : « Les absurdités ne comptent pas si elles sont la condition d’un effet dramatique », est affaire aux genres dont tout l’intérêt est dans les combinaisons de faits, c’est-à-dire au vaudeville et au mélodrame, ces deux frères siamois, qui ne diffèrent que par l’humeur. M. Sarcey a écrit un jour, à propos de la Tour de Nesle : « La scène est superbe ; absurde si l’on veut, parce qu’elle est d’une invraisemblance monstrueuse ; mais superbe ! » A la bonne heure : il ne s’agit que de la Tour de Nesle. Et je ne demanderai pas non plus à l’Hôtel du Libre-Échange la vraisemblance des faits, ni une exacte vérité morale. — Mais la tolérance que j’accorde sans peine au vaudeville et au mélodrame populaire, il faut bien que je la refuse à la comédie de mœurs ou d’analyse, au drame historique et à la tragédie, c’est-à-dire aux genres dont le principal objet avoué est justement la peinture des sentimens et des passions,