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qu’avec du temps et du travail, on pouvait la rendre capable de toutes choses. » C’est bien ce qui est arrivé ; elle est devenue « capable de toutes choses », et même, ce qu’on ne croyait pas, de supplanter les langues anciennes. Jusque-là on écrivait en latin quand on voulait être lu du monde entier. En 1658, Nicole crut devoir traduire en latin les Provinciales pour qu’il leur fût possible de passer la frontière et d’être autant admirées à l’étranger que chez nous. Un siècle plus tard on n’aurait plus eu besoin de le faire : le français était devenu la langue de toute l’Europe lettrée. Les espérances de l’Académie s’étaient réalisées : « Il avait succédé à la langue latine, comme la latine à la grecque. »

Mais pour que le français s’imposât ainsi à l’estime de l’Europe, on sentait bien qu’il fallait en faire une langue aussi parfaite que possible, et qu’avant tout, il avait besoin d’être pourvu d’un bon dictionnaire. On se mit sérieusement à l’œuvre à partir de 1639, quand Vaugelas fut chargé du travail, et reçut pour le faire une pension de 2 000 livres. Personne n’en était plus capable que lui, il semblait s’être préparé pendant toute sa vie à la tâche que l’Académie devait lui confier ; il avait un système arrêté, des principes qu’il fit prévaloir, et s’il n’a pas eu le temps de pousser bien loin son ouvrage, ses successeurs ont suivi jusqu’à la fin l’impulsion qu’il avait donnée.

Quand on entreprend de faire un dictionnaire, il est naturel qu’on se demande d’abord s’il y a une autorité qu’on puisse consulter dans les cas douteux et dont les décisions soient souveraines. Horace répond qu’il faut se conformer à l’usage : « C’est l’arbitre et le maître des langues. » Mais l’usage n’est pas le même partout, il change avec les milieux ; quel est celui qu’il faut suivre et celui qu’il faut éviter ? Quelques-uns prétendent que c’est le peuple qui doit faire la loi ; Malherbe renvoyait ceux qui le consultaient sur la manière de bien parler aux crocheteurs du Port au foin. D’autres veulent qu’on s’en tienne aux exemples donnés par les bons auteurs : il faut n’employer que les termes et les tours dont ils ont l’habitude d’user. C’était notamment l’opinion de Chapelain,


Cet homme merveilleux dont l’esprit sans pareil
Surpassait en clarté les rayons du soleil.


Vaugelas aussi a beaucoup d’estime pour les grands écrivains de son temps, il les a étudiés à fond et les cite avec respect ; mais