venir assidûment, ou de céder la place à beaucoup de personnes de considération qui demandaient à y entrer. » Colbert eut recours à des moyens plus doux. Il était fâché de voir que les séances ne se tenaient pas avec la régularité nécessaire. « Il n’y avait point d’heure réglée, dit Perrault, à laquelle l’assemblée dût commencer, ni à laquelle elle dût finir : les uns venaient de bonne heure, les autres fort tard ; les uns y entraient lorsque les autres commençaient à en sortir, et quelquefois tout le temps se passait à dire des nouvelles. Il fut résolu qu’elle commencerait à trois heures sonnantes et finirait lorsque cinq heures sonneraient. Pour l’exécution exacte de ce règlement, M. Colbert fit donner une pendule à l’Académie, avec ordre au sieur Thuret de la conduire et de l’entretenir. » Il fit plus ; il institua les jetons de présence, qui, depuis le 2 janvier 1683 jusqu’à nos jours, sont distribués aux membres de l’Académie. Ce n’était assurément pas une fortune : le jeton valait 32 sous[1] ; il est vrai que, comme il y en avait quarante pour chaque séance, et que ceux des absens étaient partagés entre les présens, la part de chacun s’en trouvait souvent fort accrue. Il leur est arrivé de toucher en une fois cinq jetons, c’est-à-dire 8 livres, ce qui était une somme assez importante pour l’époque. Il y avait des académiciens pauvres qui étaient loin de dédaigner ce petit surcroît de revenu. C’est, dit-on, Corneille qui créa le mot de jetonniers, pour désigner ceux de ses confrères que l’appât du jeton plus que les charmes du dictionnaire attirait à l’Académie. Il était pourtant fort jetonnier lui-même, et La Fontaine encore plus : on sait que les amis de La Fontaine lui fournissaient « le souper et le gîte » : c’était le jeton qui lui donnait « le reste ». Du moment qu’on touchait le jeton, il fallait le gagner, c’est-à-dire arriver à l’heure. Il fut assez difficile d’en faire prendre l’habitude aux académiciens ; ceux qui arrivaient en retard commençaient par faire le procès à l’horloge ; ils se plaignaient que le sieur Thuret ne l’eût pas bien réglée, et ils y mettaient tant d’insistance qu’ils finissaient par se faire rétablir sur la liste. « Pour empêcher cet abus, nous dit Perrault, je n’entrai exprès deux ou trois fois qu’un moment après l’heure sonnée : on voulut me mettre sur la feuille pour participer aux jetons, je ne le souffris point, afin qu’étant établi qu’on ne me faisait point de grâce lorsque j’arrivais à l’heure sonnée,
- ↑ Le jeton fut porté à 3 fr. sous le ministère de Calonne.