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arrivant lentement et tout occupés d’abord à se raconter l’un à l’autre ce qu’ils ont appris par la ville ; puis, « quand ils sont épuisés sur les nouvelles et les bons contes », se mettant enfin à éplucher les mots. Comme ils ne sont pas pressés, ils perdent volontiers le temps à des minuties. « J’ai remarqué, dit-il, que toute l’après-dînée du 18 novembre 1684 se passa à examiner ce que c’était avoir la puce à l’oreille. » Quelquefois pourtant on discute avec ardeur, moins dans l’intérêt de la langue, dont on ne se soucie guère, que pour étaler son esprit. On y mettant d’amour-propre, on défend l’opinion qu’on a émise par hasard avec tant de passion qu’on finit par se dire des gros mots, et même qu’on se jette des livres à la tête. On pense bien que Furetière ne se fait pas faute d’attaquer directement les personnes ; mais comme il est prudent, il ne les maltraite pas toutes ; il met d’abord de côté les cardinaux, les évêques, les grands seigneurs, tous ceux qui pourraient se venger, et ne parle d’eux qu’avec le plus grand respect ; puis ses amis, surtout Racine et Boileau, qui l’ont soutenu jusqu’à la fin ; pour les autres, il est sans pitié. Il se moque cruellement de Régnier Desmarais, le secrétaire perpétuel, du gros Charpentier, auquel il aurait dû être indulgent, après l’avoir si bien dupé, des deux Tallemant, de Le Clerc et Boyer, « les deux Albigeois, » de Barbier d’Aucour, « qui s’est affublé de deux noms, aussi inconnus l’un que l’autre », de Quinault, dont il nous dit que « c’était une bonne pâte d’homme », parce que son père était boulanger. Pourquoi faut-il qu’il y ait joint La Fontaine, dont il raille les infortunes conjugales, et sur lequel il appelle toutes les foudres de la justice, à cause des légèretés de ses Contes[1] ?

Sur la foi de Furetière on était fort disposé à croire que le dictionnaire de l’Académie ne verrait jamais le jour. Il fut pourtant achevé, et le 24 août 1694 Tourreil eut l’honneur d’en faire hommage au roi, à Versailles. Une planche, gravée en tête de la dédicace, représente cette cérémonie. Louis XIV, sur son trône, reçoit les académiciens, entouré de ses courtisans. Le chef de la députation, en grand manteau, le harangue, et le roi paraît l’écouter avec un très vif intérêt. Le Mercure nous a conservé sa réponse, pleine de cette bonne grâce qui ne lui fit jamais défaut

  1. Furetière ne plaisante pas seulement l’Académie sur les choix qu’elle a faits, il lui reproche les hommes distingués dont elle n’a pas voulu. Il y avait donc déjà un quarante et unième fauteuil. Seulement Furetière ne le compose pas tout à fait comme nous le ferions aujourd’hui. Nous y mettrions Descartes, La Rochefoucauld, Pascal, Molière ; il y met Du Cange, Ménage, Thouvenot, Varillas, Baillet, etc.