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LES CONSERVATEURS
ET LA DEMOCRATIE


I

Vingt ans se sont écoulés depuis que les conservateurs ont été exilés du pouvoir, et l’ostracisme dure toujours. Dans un pays où tout change, leur sort seul ne change pas. Jamais ils n’avaient subi une si longue disgrâce. Ils ont cependant tous les moyens d’influence : l’éducation, l’intelligence, la fortune, la tradition. Ils reçoivent une instruction achevée, possèdent une grande partie du sol, sont riches, ou du moins aisés. Malgré tout, ils sont vaincus, toujours vaincus. Renversés en 1876, ils se débattent depuis sans parvenir à se relever. Chaque effort ne semble aboutir qu’à les faire plus lourdement retomber sur le sol. On dirait qu’une fée leur a jeté un sort. Les occasions de revanche ne leur ont pas manqué. Leurs adversaires, sans ménagement pour la fortune, ont pris comme à tâche de les leur fournir : persécution religieuse, profusions financières, aventures coloniales, décousu dans la politique, immoralité dans la gestion des affaires, divisions intestines ; ils ont multiplié fautes et scandales. Rien n’y a fait ; rien n’y fait. C’est toujours la défaite, pire même que la défaite, c’est la débâcle, une sorte de 1870 à l’intérieur, avec ses revers écrasans et cette fatalité pesante qui se mêle à tout et déjoue tout.

D’où vient cette longue infortune ? Faut-il accuser la mauvaise chance, l’erreur des chefs, la qualité des troupes ? Faut-il s’en prendre au « malheur des temps », à la décadence du sentiment