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Tout alcool est mauvais, et la différence entre telle liqueur et telle autre n’est pas toujours celle que croit le public. Des procédés de rectification peuvent bien diminuer le danger de certains produits ; mais beaucoup d’industriels, qui n’ont pas d’intérêt à ne pas se conformer aux lois de l’hygiène, emploient les méthodes les plus scientifiques et fournissent aux consommateurs des alcools déjà rectifiés, dont l’effet n’est guère moins funeste que celui des autres. Il a cependant été reconnu que les produits livrés par les distilleries industrielles sont plus purs que les autres[1].

Quoi qu’il en soit, la question prend une place de plus en plus considérable dans les préoccupations du pays. Elle se présente sous une double face : hygiénique et fiscale. Nous venons de dire comment nous envisageons la première. Docteurs et moralistes sont d’accord pour déplorer les ravages de plus en plus profonds de l’alcoolisme : s’il y a discussion entre les médecins et les experts sur le point de savoir comment classer les effets des diverses catégories de spiritueux, personne ne conteste le danger terrible et sans cesse croissant que l’abus en fait courir à la santé publique. Personne par conséquent ne fait d’objections au principe même de la taxe établie sur une consommation de cette nature. Sans croire que les impôts soient un moyen de venir en aide à la morale, il est permis d’encourager une législation dont le résultat devrait ou pourrait être de restreindre l’usage d’un poison, tout en assurant des recettes considérables au Trésor public. En tout cas, il vaut mieux demander des ressources à un excitant qu’à un aliment.

Mais il importe de bien dégager cette question de l’alcool d’un certain nombre d’autres qui ont été mêlées avec elle et qui ont singulièrement contribué à l’obscurcir. D’une part, chaque fois presque qu’un changement de législation sur l’alcool a été à l’ordre du jour, on a voulu remanier en même temps l’assiette de l’impôt sur les boissons. D’autre part, plusieurs réformateurs ont apporté, comme argument suprême dans la défense de leurs projets de taxation nouvelle des spiritueux, le compte des dégrèvemens qui en seraient le corollaire : ils cherchent à persuader par exemple aux agriculteurs que la suppression de l’impôt foncier est inséparable du monopole de l’alcool. Il serait tout aussi aisé de le faire dépendre d’une augmentation de la taxe sur les valeurs

  1. Bull. russe de statistique financière et de législation, nov.-déc. 1896, p. 687.