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séduisante contient à notre avis une grande part d’illusion. Découvrît-on les meilleurs des jurés, ces rares magistrats feraient encore de médiocre besogne si à la Cour d’assises leur rouage excellent se trouvait associé à des rouages demeurés imparfaits, et si l’on continuait à leur donner à l’audience une situation fausse et une tâche souvent impossible. Aussi la question du recrutement du jury est-elle à nos yeux un des élémens du problème à résoudre, mais non le plus important, et à coup sûr un des plus malaisés.

Depuis cent ans, à travers les révolutions, à travers les empires, les républiques et les monarchies, nos lois s’acharnent vainement à la poursuite du juré idéal. Que cette poursuite soit dirigée par un préfet ou par un juge, par un groupe plus ou moins savamment assorti de magistrats, de maires et de conseillers généraux, le phénix des jurés, plus adroit qu’Atalante, se dérobe toujours. En vain M. Dufaure l’a-t-il serré de près, il y a vingt-cinq ans ; il n’a pu l’atteindre, et de nouvelles propositions de loi, d’accord avec l’opinion publique, ne cessent de le réclamer. Poursuivons-le donc à notre tour, et voyons par quelles méthodes on l’a recherché jusqu’ici en France et à l’étranger.

Ces méthodes ont varié maintes fois ; cependant on peut dire que tous les procédés proposés ou pratiqués se rattachent à deux doctrines, dont l’une confie au sort et l’autre au choix le soin de composer la liste du jury. C’est la théorie du choix, plus ou moins rationnellement pratiquée, qui l’emporte heureusement chez nous, mais les partisans de la formation de la liste du jury par le sort, n’ont pas désarmé. En ce moment même, une proposition de loi soumise aux Chambres tend à la création d’une liste générale du jury, comprenant tous les électeurs âgés de plus de quarante et de moins de soixante ans, et sur laquelle on tirerait au sort les jurés des listes de session[1].

Un tel système, d’une simplicité chimérique et brutale, fut

  1. Voir Proposition de loi relative à l’organisation du jury criminel, présentée par M. Leydet le 23 octobre 1894. M. Boysset formulait ainsi, dans sa proposition de loi du 28 mars 1882, le système déjà repoussé par la Constituante en 1848 : « Tout citoyen est électeur ; tout électeur est juré. La liste des jurés et la liste des électeurs seraient identiques, sauf, tout au plus, des garanties d’âge impliquant des garanties d’expérience. Un tirage au sort, effectué par le maire de chaque commune, établirait la liste annuelle destinée au service judiciaire départemental ; un second tirage désignerait les jurés de chaque session d’assises… Théoriquement, cette formule constitue l’idéal du régime républicain… »