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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/93

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III

Il ne fallait pas seulement la prodigieuse activité du maître pour venir à bout d’un pareil travail ; mais les conditions mêmes dans lesquelles il avait à l’exécuter étaient de nature à rebuter tout autre que lui. De Piles nous apprend, en effet, « qu’en peignant il pouvait parler sans peine et que, sans quitter son ouvrage, il entretenait facilement ceux qui le venaient voir. La reyne Marie prenait même un si grand plaisir à sa conversation, que pendant tout le temps qu’il travailla aux deux tableaux qu’il a faits à Paris, de ceux qui sont dans la galerie du Luxembourg, Sa Majesté était toujours derrière lui, autant charmée de l’entendre discourir que de le voir peindre. Elle voulut un jour lui faire voir son cercle, afin qu’il jugeât de la beauté des dames de la cour et, les ayant toutes regardées attentivement : « Il faut, dit-il, en montrant celle qui lui paraissait la plus belle, que ce soit la princesse de Guéménée. » Ce l’était, en effet, et sur ce que M, Bautru[1] lui demanda s’il la connaissait, il répondit qu’il n’avait jamais eu l’honneur de la voir et qu’il n’en avait parlé que sur ce qu’on lui avait dit de la beauté de cette princesse. »

À ces divers traits on reconnaît l’homme du monde, délié, au courant des usages et sachant à l’occasion placer son mot. Si, le plus souvent, absorbé par son travail, il n’écoutait que d’une oreille distraite les futilités qui se débitaient autour de lui dans un pareil milieu, parfois, au contraire, il avait besoin de toute son attention, de toute sa présence d’esprit pour suivre et diriger, sans jamais en avoir l’air, la conversation, pour l’amener sur les sujets qu’il voulait, pour interroger, tâter les gens et se rendre compte de leurs intentions, afin d’être à même de renseigner exactement la gouvernante des Flandres sur tout ce qu’il lui importait de savoir. A côté du peintre, en effet, le diplomate commençait à poindre chez Rubens. Dans la dernière lettre écrite par lui d’Anvers à M. de Valavès (10 janvier 1625), il a beau protester que « pour les affaires publiques il est l’homme le moins appassionné du monde, sauves toujours ses bagues et sa personne; mais que comme il estime tout le monde pour sa patrie, il croit que, partout

  1. Bautru, marquis de Séran, était un des familiers de la reine mère, avant de s’attacher à Richelieu, qui l’employa successivement dans un grand nombre de missions. Rubens devait plus d’une fois, par la suite, le rencontrer sur son chemin.