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REVUE MUSICALE

THEATRE DE L’OPERA-COMIQUE : Le Vaisseau Fantôme, opéra en trois actes, de Richard Wagner. — THEATRE DE L’OPERA : L’Étoile, ballet-pantomime en deux actes, de MM. Adolphe Aderer et Camille de Roddaz ; chorégraphie de M. Hansen ; musique de M. André Wormser.

Il nous est arrivé de nous plaindre que la joie, la gioia bella, comme l’appelait Mozart, fût absente de la musique de Wagner. Mais au lendemain de l’horrible désastre, en écoutant le Vaisseau Fantôme, nous avons béni cette œuvre de n’être point joyeuse, d’être une œuvre de douleur et de pitié, qu’il ne fût pas trop cruel d’entendre en ces douloureux et vraiment pitoyables jours.

Œuvre de douleur et de pitié ; le premier des opéras de Wagner, — et peut-être de tous les opéras, — auquel ces deux mots et cette définition en quelque sorte morale puisse convenir. La musique de théâtre jusque-là n’avait rien offert de semblable. Non pas que dans le Vaisseau Fantôme il soit question pour la première fois en musique de dévouement et de sacrifice ; mais je ne vois pas qu’un autre drame musical ait eu comme celui-ci pour sujet ce que notre époque a nommé la religion de la souffrance humaine.

Bien que nul aujourd’hui ne soit plus censé ignorer Wagner, il n’est peut-être pas superflu de rappeler la légende du Hollandais maudit. Errant à jamais sur les mers, une fois tous les sept ans, — et pour un seul jour, — il aborde, et demande à de nouveaux rivages la vierge dont l’amour doit le sauver. Au fond d’un golfe du nord il la rencontre enfin. Elle l’attendait. Senta, la fille du marin Daland, avait ouï conter l’histoire du nocher sombre, et la pitié d’une telle infortune avait rempli et comme enchanté son cœur. Elle l’attendait, celui dont le portrait mystérieux ornait la muraille de la salle. Elle l’attendait, insensible à tout ce qui n’était pas lui, absente du monde réel et de la vie, sourde