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de laisser tout faire, ni de la Grèce qui a évacué l’île, elles ne peuvent venir que des empêchemens que les puissances se créent à elles-mêmes, ou qu’elles s’opposent les unes aux autres. Il aurait été habile de régler rapidement la question crétoise, et de profiter pour cela du moment le plus favorable peut-être qu’on aura jamais. On aurait enlevé ainsi au hasard, c’est-à-dire à la possibilité de complications futures, tout ce qu’on peut lui enlever par la prompte exécution d’un dessein ferme, que l’on croyait d’ailleurs depuis longtemps arrêté.

Il n’y aurait que demi-mal si la temporisation devait rendre les solutions plus faciles ; mais certainement il n’en est rien. Et cela n’est pas moins vrai pour le continent que pour la Crète. On ne cesse pas de répéter que la Porte devra évacuer la Thessalie, et nous ne doutons pas, en effet, que les choses ne se passent finalement ainsi. Mais, en attendant, elle l’occupe, et elle y concentre des forces de plus en plus considérables. Elle voudrait la garder, qu’elle ne procéderait pas différemment. Elle prend l’habitude d’y rester, et le Sultan doit rêver quelquefois au fameux mot de M. de Bismarck : Beati possidentes ! et à toutes les applications qu’on peut lui donner. La difficulté de faire évacuer la Thessalie par les Turcs sera en raison directe du temps qu’ils y auront séjourné. Elle était sans doute très grande au lendemain de Domokos ; elle le sera encore plus à la fin des négociations, pour peu que celles-ci continuent de marcher avec la même lenteur. Il ne faut d’ailleurs pas se dissimuler que lorsqu’on sera d’accord sur tout, à supposer qu’on parvienne à s’y mettre, il restera encore à faire exécuter les résolutions prises et que, là encore, on se trouvera en présence de difficultés nouvelles, toutes pratiques cette fois, mais qui n’en seront pas moins laborieuses. Les plus inextricables de toutes se rattacheront aux grandes réformes projetées dans l’Empire ottoman, et à l’obligation où seront les puissances, et qu’elles voudront imposer au Sultan, d’en faire une réalité. L’Europe a là de l’occupation pour de longs mois : au pas dont elle va, elle y mettra des années. Il peut se passer bien des choses avant qu’un aussi grand travail, poursuivi si lentement, soit enfin terminé, et qui sait si ce n’est pas là-dessus que comptent à la fois les Turcs et les Grecs, les premiers parce que le temps ne peut évidemment que les favoriser, les seconds parce qu’ils ont l’espoir obstiné du joueur qui attend quand même une surprise heureuse de la fortune et se refuse à croire qu’elle lui sera toujours contraire ? Il est très dangereux de laisser les Turcs et les Grecs dans cet état d’esprit, qui n’est bon ni pour les uns ni pour les autres. S’il y avait dans le concert européen un véritable principe