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sont nombreux les uns auprès des autres, el se rencontrent partout, du Thibet anglais à l’océan Pacifique, de même que les Mano-Phané, longs murs de pierres sèches, d’au moins deux mètres d’épaisseur, longs de huit et dix mètres. D’autres sont beaucoup plus larges, et longs de cent mètres, ou même d’un kilomètre. Ils sont recouverts de pierres plates naturelles, de grandeurs diverses, sur lesquelles sont très bien gravées des prières en caractères sanscrits ou thibétains. Toutes ces prières sont dites par le fait de passer auprès, à condition que ce soit toujours par la droite : passer à gauche produirait l’effet contraire, un effet ruineux.

C’est une chose amusante, pour les gens qui arrivent d’Europe, de voir les airs de souverain et d’autocrate que se donne ici le moindre bourgeois européen. Un blanc de qualité est un Sahib, un seigneur, et je suis une Mem Sahib, très recommandée par les autorités anglaises et kashmiriennes, une bara Mem Sahib. Il y a évidemment le prestige de la couleur et le prestige de la civilisation. Ils détestent leurs vainqueurs, mais ils les craignent ; les gens de marque cherchent à les imiter, ils les envient, ils les admirent, quitte à s’en venger si c’était possible. Sur les sentiers, toute caravane grimpe ou descend pour me laisser le passage, même au Baltistan musulman, où quelques-uns seulement ne me donnent pas le salam, parce que je suis une femme. Les gens assis se lèvent, et dès que j’approche des tentes des domestiques et des coolies, tous sont debout naturellement. Je trouve singulière et fâcheuse l’habitude que prennent trop souvent les habitans des Indes de traiter les indigènes comme des bêtes de somme et de ne pas se donner la peine de leur rendre le salam, ce qui me scandalise toujours. Je n’essaie pas le geste du salam, — il y a des degrés à observer que j’ignore probablement, et si à un personnage de marque je le faisais de la main gauche, ce serait une grave insulte, — mais je réponds à tous par une inclination de tête. Ce peuple n’est pas malveillant : un jour que j’étais seule à cheval, j’entends une femme travaillant dans un champ tout au fond près du torrent qui crie et me fait des signes. J’aperçois en effet un nuage de poussière qui se détache du haut de la montagne qu’elle me montre, et une minute après je vois les pierres rouler en avalanche ; je n’ai que le temps d’arrêter mon cheval et de fuir en arrière.

C’est aussi dans le pays thibétain que je fais la connaissance