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du Ruisseau, — la Prairie représentée par une Nymphe qui retient, et le Ruisseau par un adolescent qui s’échappe, a engendré toute une foule de métaphores en plâtre et de calembours en marbre qui donneront, dans l’avenir, du fil à retordre à la sagacité et à l’érudition des historiens. Comment M. Bareau se figure-t-il le Temps et la Sagesse ? Voici le texte : « Abandonnant sa faux meurtrière pour une œuvre de paix, le Temps a créé la Sagesse et, dans son éternelle jeunesse, il contemple son œuvre. » Voici la traduction : Le Temps est l’éternel vieux que nous connaissons, un vieux très ridé et très fatigué, qui a lâché sa faux et qui s’est assis. Pour se reposer en famille ? C’est sans doute ce que vous supposez, puisqu’on nous annonce sa fille, la Sagesse. Hélas ! non, cette fille est bien trop petite et n’est pas même vivante ; c’est une simple statuette, une Pallas-Athènè qu’il tient dans la main gauche et qu’il regarde. Toute l’éternité pour produire une réduction d’après Phidias, toute l’éternité pour la contempler ! C’est peut-être beaucoup. M. Bareau, comme exécutant, a du talent ; le jury l’a reconnu ; combien il eût gagné à le dépenser en un sujet moins alambiqué ! Une fois qu’on est en train de jongler avec les mots, des mots quelconques, et de les anthropomorphiser sans méthode et sans imagination, on peut aller loin. Voici que, sous prétexte de traduire le Chêne et le Roseau, M. Couteilhas précipite à terre, sous un coup de vent, un espèce de géant, tandis qu’une jeune fille, souple et frêle, se courbe et s’incline. La fille a un roseau dans le dos, le géant est semé de feuilles de chêne ; mais l’apologue en est-il beaucoup plus clair ? Dans l’Ouragan et la Feuille, par M. Forestier, l’ouragan est un personnage échevelé qui se précipite en avant, sonnant avec rage dans une trompe, et la feuille qu’il renverse, tête en bas, pieds en l’air, sur son passage, est une jeune femme. Dans l’Écueil et la Vague de M. Loysel le sens est encore plus difficile à saisir. Les écueils ont l’habitude de briser les vagues, non pas de les embrasser. L’écueil de M. Loysel est, au contraire, un brave homme, d’aspect un peu inculte, mais qui semble accueillir d’un geste hospitalier la belle fille que la mer jette à ses pieds. Si c’est pour nous imposer ces énigmes que vous faites fi de la mythologie, retournez à la mythologie, ou, plutôt, consentez donc à être simples, regardez tout bonnement la vie et la nature ; elles vous fourniront amplement, si vous savez les interroger, des motifs assez clairs d’expression et de beauté. Cela n’empêche que