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œuvres de l’Antiquité, du moyen âge et de la Renaissance ; lorsqu’il a négligé de le faire, la puissance de sa vision en a paru rapidement amoindrie. Il en a été de même pour M. Carolus Duran, à qui les coloristes brillans et spontanés, Titien, Rubens Velazquez, n’ont jamais épargné leurs conseils et qui s’est toujours bien trouvé d’y recourir. Comme celles de leurs contemporains aux Champs-Elysées, qui débutèrent à la même époque, leurs œuvres actuelles nous apportent les résultats logiques d’une longue et judicieuse fréquentation des vieux maîtres, combinée avec cette incessante et amoureuse observation de la nature et de la vie sans laquelle la plus consciencieuse étude du passé devient oppressive et stérilisante.

Le grand carton que M. Puvis de Chavannes a préparé pour le Panthéon et qui occupera, dans l’abside, en face de la Mort de sainte Geneviève par M. J.-P. Laurens, l’espace d’abord réservé à Meissonier, est, si je ne me trompe, la composition la mieux remplie et la plus serrée qu’il ait encore conçue. C’est Sainte Geneviève ravitaillant Paris. « Du temps que Paris fut assiégé dix ans, si comme les anciens disent, si grant famine si ensuyit que plusieurs mouroient de faim. La vierge en eut pitié et se mist en la ryviere de Seyne pour aler quérir a navires des vivres. » Ainsi s’exprime la Vie de Madame Saincte Geneviève. Le peintre a choisi le moment où les nefs, chargées de vivres, abordent les quais de la ville affamée. Comme il l’avait si heureusement fait déjà dans son Enfance de sainte Geneviève, il déroule, d’un seul trait, toute la scène derrière les deux pilastres du décor architectural qui la divisent, pour l’œil, en trois parties, sans interrompre l’unité de l’action. Sur la gauche, le long des remparts, arrive une procession de jeunes filles, escortée par des moines, qui se presse au-devant de la flottille ; une pauvre femme, en proie aux tortures de la faim, se débat sur le quai, relevée par des assistans secourables. Au centre aborde une nef, sur laquelle, debout à l’avant, la vierge, long drapée, d’un grand geste simple et calme, apporte aux Parisiens la consolation et l’espérance. Sur la droite, devant les quais, sont déjà amarrées d ; autres barques qu’on est en train de décharger. Les débardeurs, à demi nus, qui portent les grandes jarres ou les sacs de blé, ont fourni au peintre, pour ses premiers plans, quelques-unes de ces figures noblement réelles, dans lesquelles il transpose et agrandit, avec sa force de style particulière, les attitudes et les gestes fournis par la réalité