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on les aime d’autant plus, quand on les aime. Enfin, nous verrons bien si Mme Duse saura, dans Césarine, être méchante.

Il est un point dont nous sommes sûrs dès maintenant. En dépit des quelques momens où son ignorance même de l’artifice théâtral risque de la faire paraître artificielle par trop de modestie, nous devons à Mme Duse une sensation de vérité à quoi rien ne ressemble dans tout ce que nous connaissons, nous qui n’avons pas vu Aimée Desclée. Elle nous a fait découvrir, rétrospectivement, de l’affectation et du procédé dans le jeu animé, mais vulgaire, et dans la diction nasillarde de telle comédienne de chez nous, que nous vantons depuis longtemps pour son naturel.

Avec cela, Mme Duse sait-elle « composer » un rôle ? Je ne puis encore vous répondre avec assurance. Elle vous ravit parce qu’elle est vraie et spontanée dans chacune de ses inflexions et dans chacun de ses mouvemens : mais il se pourrait que la composition d’un rôle, c’est-à-dire la subordination de toutes ses parties au dessein de l’ensemble, impliquât, par le ressouvenir du personnage entier dans l’interprétation de ses moindres mots et de ses moindres démarches, quelque altération de ce « naturel » qui nous charme tant. Il n’est nullement prouvé que le maximum de vérité dans le détail produise le maximum d’expression totale.

Autre question : de ces tournées d’ « étoiles » européennes, faut-il espérer la formation d’un goût européen ? On aurait cet espoir, si ces grandes artistes transportaient intacts à travers l’Europe les chefs-d’œuvre ou les œuvres intéressantes des divers théâtres nationaux. Mais elles n’en donnent que des versions effrontément écourtées à leur usage : et ainsi le « goût européen » qu’elles propagent, c’est le goût pour Mme Duse et pour Mme Sarah Bernhardt. Il est vrai que c’est déjà un agréable commencement de communion spirituelle entre les peuples.


M. Alfred Capus est un écrivain d’une originalité paisible et sûre. D’un seul mot, c’est un « réaliste », un vrai, et cela est devenu très rare. Car son réalisme, à lui, ne se complique ni de naturalisme, ni de pessimisme, ni d’ « écriture artiste », ni de parisianisme fait exprès, ni de psychologomanie, ni du désir de frapper fort et de nous étonner, ni d’aucune prétention à quoi que ce soit. Il voit clair et dit clairement ce qu’il a vu, c’est tout ; naturellement « conteur », tranquille, exact, ironique à peine. J’ai dit une fois que, par sa tranquillité et sa lucidité, il me rappelait Alain Lesage, et je ne m’en dédis point.