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ministres vénaux, des princes avares, tous serviles au lucre et dociles à la force. Au-delà rien, ou du moins rien qui compte en politique : des savans, des philosophes, des artistes, des poètes, des rêveurs. On leur laisse « l’enthousiasme », comme la musique aux Italiens.

Les ministres allemands ne s’occupaient du peuple que pour en trafiquer. Ces diplomates, sordides et fourbes sous leur masque de bonhomie épaisse, n’allèguent le droit, l’intégrité de l’Empire, la constitution, que l’échine courbée et la main ouverte ; ils ne protestent de leur honnêteté que pour augmenter le prix de leur trahison ; ils n’invoquent les principes que pour allonger la procédure et augmenter les frais. Le grand recès de 1803 décela publiquement ce qu’un observateur perspicace démêla dès 1797. Rastadt fut comme le lever de rideau du grand gala que l’Allemagne donna, en 1808, à Erfurth. Bonaparte fut, selon le mot profond d’un publiciste contemporain, l’exécuteur testamentaire du vieil empire, de ses avidités, de ses dissensions, de sa servilité[1].


III

Ces diplomates allemands étaient gens à s’entendre avec les avocats et les légistes qui représentaient le Directoire. Ils parlaient le même langage. Ils ne disputèrent que sur les qualités et sur les quotités. Ils en disputèrent âprement : Treilhard, raide, argumentateur, impérieux, rusé et arrogant en affaires, colère parfois, surtout après boire, mais en général, poli, « causant bien, avec un joli accent gascon, et donnant tous les titres », rapporte un Allemand, fréquentant le théâtre, tenant bonne table, largement servie et longuement ; Bonnier, ci-devant président à la cour des aides de Montpellier, provincial, obscur, méfiant, tra-cassier, bourru, souffrant de névralgies, agité d’inquiétudes, calfeutré dans sa chambre, faisant poser partout des verrous, évitant le monde, « de la quintessence de rustre », écrit le jeune Metternich ; mais, une fois rassuré et dans le tête-à-tête, bon-

  1. Gœrres, cité par Hüffer, I, p. 58. — Comparez une brochure du même temps : la Passion. « Et voici, Bonaparte accomplit ces choses : les Grands Prêtres, les Scribes et les Pharisiens se rassemblèrent dans une ville alors nommée Rastadt et ils tinrent conseil, et ils y délibérèrent comme ils s’empareraient par ruse du saint Empire et le mettraient à mort… »