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conséquence la domination de l’Italie, avec son prolongement naturel : la domination de la Méditerranée. Mais la domination de l’Italie serait précaire tant que la Suisse et le Piémont en commanderaient les passages, que l’Autriche y aurait pied à Venise, y trouverait des alliés en Toscane, à Rome, à Naples, tant que Naples enfin pourrait ouvrir ses ports aux Anglais. Expéditions contre Rome et contre Naples, annexion du Piémont, assujettissement de la Suisse, c’étaient, pour les Directeurs, les conditions de l’extension de la France dans la Méditerranée et de l’anéantissement de la puissance anglaise.

Mais ces entreprises démesurées qui devaient, tôt ou tard, coaliser l’Europe contre la France, ils s’y engageaient en aveugles ; ils les poursuivaient en brouillons, menant la guerre comme ils menaient le gouvernement intérieur ; plus incapables encore de comprendre les peuples étrangers qu’ils ne l’étaient de comprendre la nation française ; exploitant la conquête comme ils exploitaient la république, éreintant la Révolution au dehors et au dedans. Ils ne concevaient ni les moyens ni surtout les conséquences de leur politique : prétendant conduire du même pas et aux mêmes fins la guerre de révolution et la guerre de fiscalité, la guerre d’affranchissement et la guerre de suprématie ; révolutionnant les peuples et s’irritant que les peuples voulussent être indépendans, libres, refusassent de payer le conquérant, d’entretenir ses armées, de subir son gouvernement ; redoutant, détestant les militaires et ne pouvant agir que par la force des militaires ; se figurant qu’ils pourraient conserver aux armées républicaines, dans des opérations d’envahissement et de lucre, l’enthousiasme et le désintéressement qui avaient été l’honneur de la guerre de défense nationale ; exigeant de ces conquérans des vertus civiques alors que le gouvernement civil de la République donnait l’exemple du contraire ; surpris que les agens de la conquête, les généraux, voulussent prélever les dépouilles opimes ; confondus de les voir se disputer, par cabales, la gloire et le profit du commandement en chef, et de voir des commissaires civils, qui étaient chargés de rançonner les peuples conquis, prélever leur dîme sur les recettes de l’État.

Bonaparte, revenu à Paris, assistait à ce spectacle avec autant de mépris que d’impatience. Le dessein d’extension et de suprématie du Directoire demeura le grand dessein de son consulat et de son empire. Mais ce que les Directeurs entreprenaient partout