ce rêve de grandeur, toute romaine encore, qui couvait dans les imaginations populaires. Exposant dans un mémoire apologétique les plans du Directoire, le moins politique, mais le plus purement républicain des Directeurs, La Revellière, les résumait ainsi : « Unir la Hollande, la France, l’Helvétie, la Cisalpine, la Ligurie par cette contiguïté non interrompue de territoires…, pépinière d’excellens (soldats et de positions formidables. » Que faisait-il, sinon tracer les lignes de l’Empire ? Ces vues, d’ailleurs, se retrouvent partout dans les souvenirs, dans les lettres des contemporains.
Les esprits étaient alors tout à la magnificence. Je lis dans une lettre du général César Faucher, écrite en février 1798, à son ami Tronson Du Coudray, exilé à Sinnamari : « Nous allons faire de nouvelles destinées à tout le continent. » Tout le continent va se coaliser contre l’Angleterre, se fermer aux marchandises anglaises. On y établira partout des républiques à l’image de la nôtre que l’on tiendra subordonnées, « afin que l’intérêt de la grande famille républicaine, ou ce qui est invinciblement la même chose, notre volonté, n’éprouve aucun obstacle dans l’univers. Ainsi le géant républicain, embrassant de l’Adriatique au Zuyderzée et de Gibraltar à Mayence, s’élèvera majestueusement, et, fort de l’unité de sa pensée, de l’ensemble et de l’harmonie de ses mouvemens, il changera à son gré les destinées du monde[1]. » Mallet n’était que perspicace lorsqu’il écrivait, le 29 décembre 1797 : « Il n’y a pas un enfant dans l’étendue de la France, qui n’adjuge à la République, à la Révolution et à son régime, la souveraineté du continent. »
Tandis qu’il préparait l’expédition d’Angleterre, Bonaparte se trouva associé aux principales opérations du Directoire en Europe. Les Directeurs le consultaient parce qu’ils reconnaissaient sa supériorité et que, du même coup, ils le compromettaient dans leur ouvrage. Il donnait des conseils pour garder la main aux affaires et ménager la crise qui devait, tôt ou tard, le porter au pouvoir. C’est ainsi qu’il intervint dans l’expédition de Rome et dans celle de Suisse.
A Rome, comme en 1793, comme depuis dans toute l’Italie, les partisans de la France se recrutaient dans la minorité bourgeoise. La masse populaire, ce qu’on appelait à Paris avec
- ↑ Lettres publiées par M. Paul Marais dans son étude : les Frères Faucher (Revue Historique, t. XLIII).