Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

subitement, crûment, en un puissant relief et comme en un violent raccourci d’histoire, cette Espagne réapparaissait. Au dehors, dans les journaux que les petits vendeurs criaient de leur voix monotone : — Impartial, Liberal ! — c’étaient des explications sans fin pour démontrer que l’archevêque de Manille désapprouvait le plan de campagne du maréchal Blanco. Et l’homme d’Espagne qui, sans doute, connaît le mieux son pays et les autres pays, son temps et les autres temps, quand je lui eus conté ce que je venais de voir et ce que je venais de lire, fit, en substance, la réponse que voici :

« Non, il est vrai, depuis le XVIe siècle, depuis Magellan, Elcano et Legazpi, nous n’avons point, aux Philippines, changé de gouvernement. Constamment, depuis trois cents ans, nous avons voulu gouverner cette colonie avec des soldats et des moines. Nous y avons fondé une sorte de féodalité à la fois militaire et théocratique ; et contre elle, enfin, s’est dressée la franc-maçonnerie, si bien qu’il n’y a plus dans l’Archipel, Européens ou indigènes, que les loges et leurs adeptes, en face des ordres et de leurs fidèles.

« J’en puis parler très librement, n’étant pas franc-maçon, non plus que je ne suis jésuite : de bonne foi, il faut avouer que ce gouvernement par les moines est, dans le monde moderne, un anachronisme. Mais sommes-nous là-bas dans le monde moderne ? Nous avons affaire à des gens dont beaucoup sont des sauvages : les plus avancés n’en sont guère qu’où nous en étions il y a trois ou quatre siècles. Dès lors, la conclusion semble aller de soi : donnons-leur les institutions que nous avions il y a trois ou quatre siècles.

« Ce serait, en effet, une conclusion ; seulement, par une contradiction singulière, en ce pays de trois ou quatre siècles en retard où nous ne changions pas autre chose, nous avons essayé d’introduire notre code civil espagnol, lequel, naturellement, s’inspire, comme aujourd’hui tous les codes occidentaux, du grand principe de l’égalité devant la loi. Un grand principe assurément, mais en faire à l’adresse des Philippines, dans leur état actuel, un article d’exportation, c’est la pire des absurdités et le contraire même de la politique.

« Je me plais souvent à dire que l’histoire est d’hier, la poésie de demain, la science et la religion de toujours, mais que la politique est de ce jour et d’un seul jour. La première qualité d’un