gratuites[1]. Les petits gouverneurs, capitaines et lieutenans de village, les principaux, les cabezas, leurs femmes et leurs enfans, ne cessent pas, pour cela, d’être considérés ; même lorsqu’on en pâtit, on les excuse, et on les plaint presque : ils sont bien forcés de faire ce qu’ils font, à l’Espagne seule on en veut de toutes les prévarications. Pendant ce temps-là, en travaillant ainsi pour eux, ils travaillent à l’envi contre elle…
Et pendant ce temps-là, les Espagnols remettent la police des îles — gendarmerie, ordre public — à une garde civile indigène, qui coûte cher, est mal composée, plus mal dressée, plus mal armée ; qui poursuit, sans jamais les atteindre, les tulisanes, les bandits dont deux compagnies d’infanterie ne tarderaient guère à rendre compte, et depuis la création de laquelle les délits sont plus nombreux qu’auparavant[2]. De telle façon que « les petits gouverneurs », les « capitaines » de village, les cabezas de barangay fournissent à l’émeute ses officiers ; la garde civile lui fournit ses cadres ; quant aux prétextes et aux meneurs, on pense bien qu’ils ne manquent pas.
L’insurrection ne chôme même pas d’aumôniers, car, ainsi qu’il y a une milice indigène, il y a dans l’archipel un clergé indigène ; et la loyauté de tous ses membres n’est peut-être pas à toute épreuve. Nous retrouvons ici, — envenimée par les préjugés et les antipathies de race, qu’un christianisme trop étroit, trop formel, d’une part, et, de l’autre, trop superficiel, trop peu profond, n’a pu noyer ou étouffer, — la vieille et instinctive inimitié des séculiers contre les réguliers. Quatre ordres religieux prospères et puissans, rappelons-le, se partagent les Philippines : augustins, récollets, franciscains et dominicains. Ils occupent tout Luzón, à l’exception des deux provinces de Lepanto et de Bontoc, et toutes les îles Visayas ; Mindanao est réservé à la compagnie de Jésus. Leurs titres de possession évangélique sont anciens et vénérables : les augustins sont venus en 1565 avec Legazpi[3] ;