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Argentine. Le Cap nous envoie en vingt jours les fruits de ses arbres dont les plants sont achetés à Orléans ou à Angers. L’éloignement cesse d’être un obstacle et devient parfois un auxiliaire : il assure à nos concurrens le bénéfice d’une saison supplémentaire, soit pour faire voyager et mettre en terre nos jeunes plants, soit pour nous expédier leurs produits, mûrs avant ou après les nôtres.

La surproduction s’organise partout grâce à nous et à notre détriment ; et c’est en vain que nous essayons de soutenir artificiellement, de notre côté, certaines de nos exportations condamnées. La crise du sucre n’est qu’un exemple entre beaucoup d’autres, mais elle trahit brutalement notre désarroi. On fait du sucre partout à l’excès, depuis la Roumanie, jusqu’à Buenos-Ayres, à Honolulu. Le sucre de canne ne se vend plus à Batavia trois sous la livre (28 centimes le kilog.) ; à Madagascar il vaut moins encore. Et cependant tous les gouvernemens européens, et d’autres mêmes, encouragent par des primes cette surproduction, comme s’ils étaient en face d’une crise passagère et non d’un mal naissant, d’une révolution économique ; et rien n’indique où cette révolution s’arrêtera, car les forces multiplicatrices sont elles-mêmes en état de continuelle transformation et de progrès ; la chimie ne se bornera pas à jouer le rôle d’auxiliaire de la terre, elle deviendra sa rivale ; elle créera de toutes pièces des produits similaires de nos produits naturels, comme elle a fait pour la garance ; nos soies artificielles du Doubs remplacent déjà la vraie soie dans nos étoffes d’ameublement. La vapeur ne sera-t-elle pas détrônée ? Ne voit-on pas fonctionner déjà, tout autour de Saint-Etienne, et ailleurs, jusqu’à 25 et 30 kilomètres de la ville, dans les fermes isolées, de petits moteurs électriques actionnant plusieurs métiers qu’une fillette peut surveiller.

Ces moteurs seront bientôt dans les cabanes des Japonais et des Chinois industrieux. Quand les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ont chassé de chez eux les ouvriers d’Extrême-Orient, ils ont compris du premier coup d’œil le danger dont notre ignorance sourit ; ils ont poursuivi comme leur ennemi le plus redoutable non pas la race, mais la concurrence jaune, qui avilit le travail humain, tue le travail européen. Mais les ouvriers jaunes à présent vont revenir à la charge et par un chemin détourné ; ils vont tuer le travail de loin, avec des armes à longue portée, avec les machines, les transports, avec la