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des produits agricoles était tombée en vingt ans (1874-1894) de 265 millions de livres à 179 millions : soit 88 millions de livres, ou 2 milliards 200 millions de francs.

On pourrait croire que la Russie, bénéficiant des avantages d’un pays neuf, est exempte des embarras de l’Europe occidentale ; elle n’en souffre pas moins de la concurrence des grains d’Amérique, d’Australie, d’Asie. Elle a vu tomber en dix ans le blé, sa principale ressource, de 46,4 pour 100. Ce qui aggrave sa situation, c’est que ses cultivateurs émigrent dans les usines ou en Sibérie, « le Canada de l’Asie, l’avenir du siècle prochain », où ils trouvent des conditions de fertilité plus grandes encore que dans la mère patrie. Cette émigration vide la Russie ; sa main-d’œuvre agricole devient plus rare et plus chère, et ses ouvriers émigrés contribuent par les récoltes qu’ils produisent à avilir davantage encore le prix des grains. Les importations des produits agricoles sibériens commencent à envahir le marché russe, et la misère des paysans devient si grande qu’ils substituent à leurs vêtemens de laine des étoffes de coton.

L’Allemagne n’est pas plus heureuse (et que dirions-nous de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, etc. ? ). Elle constate une diminution des prix de la terre et une augmentation sensible des hypothèques. Dans ses études toutes récentes (1897), sur la crise agraire en Allemagne, M. G. Blondel établit que le mal y est « certainement plus intense que chez nous. » La population agricole diminue, les paysans se ruinent ; le militarisme les achève. Des dettes formidables s’élevant de 62 à 72 pour 100 de la valeur du sol et aboutissant à l’usure, à l’émigration, au chômage ; des charges augmentant chaque année avec les dépenses militaires, tel est à grands traits le bilan actuel de l’agriculture allemande.

Aux États-Unis mêmes un rapport officiel constate en substance ceci : la valeur de la terre et de ses produits ne cesse de baisser, tandis que nos facultés d’achat ne cessent d’augmenter. La propriété foncière, qui représentait la moitié de la fortune publique en 1860, n’en représente plus que le quart en 1890, dont 30 pour 100 est hypothéqué. En 1873, le blé se vendait de 1 dollar et demi à 2 dollars et quart. Il ne se vend plus qu’un demi-dollar, c’est-à-dire à perte.

En France nous avons de grandes réserves accumulées et la variété même, la finesse de nos ressources facilitent notre résistance. Mais nos campagnes néanmoins se dépeuplent : leurs