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Pour en revenir à notre conception moderne de l’humanité, voici quels sont ses préceptes essentiels : 1° la vie de l’homme est sacrée ; 2° l’honneur de l’homme est sacré ; 3° il est défendu de causer à aucun homme des souffrances corporelles (sauf toutefois comme moyen d’encouragement à l’égard des enfans, des femmes et des domestiques, toutes catégories chez qui l’honneur, sans doute, n’est pas complètement développé) ; 4° la liberté de l’homme est inaliénable ; donc, suppression totale de l’esclavage ; 5° la religion est libre ; 6° la propriété est sacrée et nul ne doit y porter atteinte ; 7° tous les hommes sont égaux et ont les mêmes droits, sans distinction de races, de classes, ni de religions.

Encore faut-il admettre certaines restrictions à ces règles de l’humanité. Il faut admettre par exemple que, dans le temps de guerre, l’humanité est suspendue, en totalité ou tout au moins en partie. La religion, d’autre part, n’est sacrée pour l’Européen qu’en tant qu’il la comprend et en connaît les dogmes ; telles les religions juive, chrétienne et mahométane. Mais le même égard ne s’étend pas aux religions des peuples non civilisés. « De détruire le temple d’une peuplade nègre, de lui enlever ses fétiches, de lui rendre impossible la pratique de son culte, cela ne constitue pas la moindre atteinte à l’humanité. »

Tout au contraire, l’esclavage est toujours inhumain. « Peu importe que les esclaves soient bien ou mal traités, peu importe qu’ils soient contens de leur esclavage, et qu’ils envisagent avec terreur une liberté qui va les exposer à la faim et à la misère. L’humanité leur dit : Vous devez être libres, et quand même votre existence en serait bouleversée, vous devez considérer votre libération comme un bienfait, et m’être reconnaissans de vous l’avoir octroyée. »

Telle est, d’après, M. Méhémet Emin Efendi, notre conception européenne de « l’humanité ». Reste à voir si nous y conformons nos actes, et si le rapport est aussi intime que nous le croyons entre les progrès de la civilisation et le développement de cette « humanité ». C’est ce que l’auteur s’efforce de définir, en étudiant tour à tour la conduite des Européens à l’égard des autres races et leur conduite entre eux, d’homme à homme, à l’intérieur de l’Europe.

« L’année 1492, dit-il, où la civilisation a fait un de ses pas en avant les plus considérables, ne paraît pas avoir contribué dans la même mesure au développement de l’humanité. Cette année-là restera au contraire comme l’une des plus malfaisantes, dans toute l’histoire de la race humaine. Une moitié de cette race persécutée, opprimée,