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que l’homme le plus apte à bien remplir les fonctions de ministre des postes était un militaire, et il a jeté son dévolu sur le général de Podbielski. Celui-ci a déclaré qu’en bon soldat il ne connaissait que sa consigne, qui était d’obéir toujours : en conséquence, il a pris sans sourciller la direction des postes de l’Empire, et nous ne doutons d’ailleurs pas qu’il ne s’en tire tout comme un autre. N’importe : même sous un gouvernement parlementaire, où il est parfois si difficile de deviner pourquoi tel ministre a été affecté à tel ministère, on s’émerveillerait de la fantaisie d’une pareille nomination. Mais, après s’en être étonné, il n’y a plus rien à en dire, et il n’en est pas de même des autres. nominations qui ont été faites. Avant d’en venir à celles qui ont un caractère tout particulièrement politique, disons que le ministre de la marine, l’amiral Hollmann, a été remplacé par l’amiral Tirpitz. Ce dernier, qui a toute la confiance de l’empereur Guillaume, est le véritable auteur du plan de réformes maritimes que son prédécesseur avait soumis au Reichstag avec si peu de succès. Sa nomination montre que l’empereur n’abandonne rien de ses projets. Il a supporté avec une bruyante impatience l’opposition qu’il a rencontrée dans le parlement. Son irritation s’est même traduite au grand jour, sous des formes différentes, avec une extrême vivacité. Il faut croire qu’il ne se tient pas pour battu, et qu’il cherchera une occasion, ou seulement un moyen de prendre sa revanche. La conception particulière qu’il a de son rôle de souverain, conception qui n’est pas exempte d’un certain mysticisme, le prédispose mal à s’incliner devant les résistances d’un parlement.

Mais c’est surtout le départ de M. le baron Marschall, ministre des affaires étrangères, et de M. de Bœtticher, à la fois ministre de l’intérieur du gouvernement impérial et vice-président du ministère d’État prussien, qui donne à la crise sa signification véritable. Ils ont été remerciés l’un et l’autre à la suite d’incidens divers, simples prétextes à l’exercice de la volonté impériale en réalité, leur disgrâce tient à des causes profondes et déjà anciennes, et c’est avec eux tout un système qui s’en va, non pas sans retour peut-être. Il semble que l’empereur fasse des essais successifs de gouvernement ; s’ils ne réussissent pas à son, gré, il ne s’y obstine pas, et cherche volontiers autre chose. Il revient même en arrière sans faux amour-propre. Il se juge évidemment trop haut pour éprouver ce sentiment mesquin, et en cela on ne peut que l’approuver. Les hommes, même les plus grands, même les plus dignes, ne sont entre ses mains que des instrumens dont il use et qu’il change suivant les transformations mystérieuses de sa pensée.