M*** — l’a — je le lui ai porté la semaine dernière, et Eddie dit que c’est son meilleur. Vous lui en parlerez, n’est-ce pas[1] ? — Nous avions déjà lu le poème en question, en conclave, et il nous avait été impossible, que le ciel nous pardonne ! de lui trouver ni queue ni tête. Il aurait été dans une langue perdue, que nous en aurions compris tout autant. Je me rappelle avoir émis l’opinion que c’était une charge, et que Poe avait voulu voir s’il réussirait, grâce à son nom, à la faire prendre au sérieux par le public. Mais la situation était dramatique. Le reviewer avait été la cause directe de l’accident des souliers. Je répondis : Ils le publieront, — cela va de soi, — et je prierai C*** de le faire passer tout de suite. — Le poème fut payé immédiatement et publié peu de temps après. Je présume qu’aujourd’hui, dans l’édition complète, on le prend pour de la poésie ; mais, en ce temps-là, il rapporta à l’auteur une paire de souliers, plus 12 shillings[2]. » Il est très regrettable qu’on nous laisse ignorer le titre de cette pièce sans queue ni tête ; il y a des chances pour qu’elle soit l’une des plus belles d’Edgar Poe.
Virginie, la fille de tante Clemm, était une merveille de beauté, mais trop frêle et trop blanche, avec de grands yeux noirs trop brillans. Elle excitait l’admiration et la surprise des étrangers, qui ne se lassaient point de s’étonner que cette créature aérienne, à peine de la terre, fût l’enfant du grand gendarme femelle qui se faisait câlin pour la servir. La mère et la fille ne se ressemblaient que par un dévouement également absolu, sinon également actif, pour leur mélancolique ami. Poe nous a confié dans le plus délicat de ses contes, Éléonora, en transportant la scène au pays du bleu, comment, d’une amitié de petite fille à grand cousin, était né un soir, entre Virginie et lui, l’amour qui ne fut vaincu que par la mort. Il se suppose élevé avec sa cousine dans une campagne heureuse et solitaire, la vallée du Gazon-Diapré, où coule sans bruit la rivière du Silence : « Pendant quinze ans[3], Éléonora et moi, la main dans la main, nous errâmes à travers cette vallée avant que l’amour entrât dans nos cœurs. Ce fut un soir, à la fin du troisième lustre de sa vie et du quatrième de la mienne, comme nous étions assis, enchaînés dans un mutuel embrassement, sous les arbres serpentins, et que nous contemplions