Ces lignes sont de 1842. Poe s’y montre très modéré, puisqu’il demande seulement que l’élément moral soit subordonné dans l’œuvre d’art à l’élément esthétique. Trois ans plus tard, à propos d’une anthologie publiée sous la direction de Longfellow, il devenait blessant pour les braves gens qui persistaient à voir dans la sanctification de leur âme la grande affaire de leur vie : « — Nous ferons remarquer pour finir, écrivait-il, que (ce volume), quoique rempli de beautés, est infecté de morale[1]. » Il affectait de proclamer très haut qu’on ne le prendrait jamais à coudre une morale à la queue d’une histoire, et il n’avait pas assez de railleries pour les critiques qui découvrent des enseignemens profonds jusque dans une chanson de rouliers. « — C’est donc bien à tort, poursuivait-il ironiquement, que certains ignorantissimes m’accusent de n’avoir jamais écrit une histoire morale, ou, pour parler plus exactement, une histoire avec une morale. D’autres qu’eux ont été prédestinés à me dévoiler et à développer ma morale — voilà tout le secret… En attendant, désireux d’alléger les charges qui pèsent sur moi… j’offre la triste histoire que voici ; sa morale ne pourra pas être mise en doute, puisque le titre en est caution. » Le récit annoncé avec ce fracas est un des plus insipides qui soient sortis de la plume de Poe ; il s’appelle : Ne pariez jamais votre tête avec le diable ; Conte avec une morale.
Poe avait donc sa part de torts dans la mauvaise fortune qui ne lui laissait guère de répit, mais il les expiait lourdement. Quelles que fussent sa diligence, son assiduité au travail, sa bonne volonté à se plier aux besognes infimes, il ne pouvait être question pour lui de vivre de sa plume. Le poème qui lui avait rapporté « une paire de souliers, plus 12 shillings », n’avait pas été l’un des plus mal payés. Il reçut 10 dollars pour le Corbeau, 52 pour le Scarabée d’Or, qui a cinquante pages dans la traduction française. Il travailla pour les journaux à raison d’un dollar la colonne et donna le Silence, ou telle autre petite merveille, pour « cinq ou dix dollars, si ce n’est même pour rien. » Ed 1841, l’éditeur de son premier volume de contes se récusa pour le second : « — Nous n’avons pas fait nos frais », dit la lettre de refus. Poe remarquait avec amertume que le succès lui venait d’Europe : « — Que de fois, disait-il, mes écrits sont passés entièrement inaperçus jusqu’à ce qu’ils eussent été réimprimés à Londres ou à Paris. » Force
- ↑ Evening Mirror, 14 janvier 1845.