Eddy[1], disant qu’il pourrait parfaitement se tirer d’affaire tout seul… Me proposer, à moi, d’abandonner mon Eddy, — quelle cruelle insulte ! Il n’a que moi au monde pour le consoler et le soutenir, pour le soigner quand il est malade et hors d’état de s’aider ! Est-ce que je peux oublier ce doux visage, si tranquille, si pâle, et ces chers yeux qui me regardaient si tristement tandis qu’elle disait : — Ma bien-aimée, ma Muddy bien-aimée, tu consoleras mon pauvre Eddy et tu en auras bien soin, — tu ne le quitteras jamais, jamais ? Promets-le-moi, ma chère Muddy, et je pourrai mourir en paix. Et j’ai promis. Et quand je la retrouverai au ciel, je pourrai dire : — J’ai tenu ma promesse, ma chérie… »
Edgar Poe dit de son côté, dans la seconde partie d’Éléonora, que sa douce « fiancée » s’affligeait, se sentant mourir, de penser qu’il en aimerait une autre un jour, et qu’il se jeta à ses pieds en lui jurant fidélité dans la mort : « Et, à mes paroles, les yeux brillans d’Eléonora brillèrent d’un éclat plus vif ; et elle soupira comme si sa poitrine était déchargée d’un fardeau mortel ; et elle trembla et pleura très amèrement ; mais elle accepta mon serment (car était-elle autre chose qu’une enfant ? ), et mon serment lui rendit plus doux son lit de mort. Et peu de jours après, mourant paisiblement, elle me disait qu’à cause de ce que j’avais fait pour le repos de son esprit, elle veillerait sur moi avec ce même esprit après sa mort… Et, avec ces paroles sur les lèvres, elle rendit son innocente vie. »
Virginie expira le 30 janvier 1847. Mrs Shew apporta une fine toile pour l’ensevelir, et il n’y eut aucun bienfait dont Mme Clemm lui ait été aussi reconnaissante. « Sans elle, disait la mère désolée, ma Virginie chérie aurait été descendue au tombeau dans du coton. Je ne peux pas dire ma reconnaissance de ce que ma mignonne a été enterrée dans de la belle toile. » Mrs Shew aida à la mettre dans son linceul, et elle prit le manteau d’ordonnance qui lui avait servi de couverture, et elle le cacha, à cause des pénibles souvenirs qu’il réveillait ; mais il fallut le rendre à Poe pour l’enterrement, car il n’en avait pas d’autre, et le ciel hivernal était « de cendre et morne », ainsi qu’il l’a décrit dans Ulalume. Quand il revint du cimetière, le monde était décoloré à ses yeux. Le printemps ne ramena que des fleurs de deuil ; les mêmes campagnes que l’amour avait parées d’une
- ↑ Nous rappelons qu’Eddy ou Eddie, était le petit nom de Poe dans l’intimité, Muddy celui de la tante Clemm.